La concurrence de Louisbourg

 

Même si peu d'Acadiens émigrèrent à l'Île Royale, un fort courant migratoire provenant de France et de Terre-Neuve se produisit à cet endroit. Immédiatement après la signature du traité d'Utrecht, la France avait décidé de consolider ses positions en y érigeant une forteresse à un endroit stratégique qui permettrait de défendre l'entrée du golfe Saint-Laurent, de protéger la colonie de la Nouvelle-France et de préparer un retour offensif pour la reconquête de la Nouvelle-Écosse. La construction de la forteresse qui débuta en 1720 à Louisbourg et la mise sur pied d'une industrie de pêche importante attirèrent un peuplement important. La population de l'Île Royale qui était de 700 habitants en 1715 passa à 2,800 en 1723. Même si Louisbourg fut l'établissement le plus important de l'Île Royale, d'autres villages connurent une activité bourdonnante tels que Saint-Pierre, près du détroit de Canso, où l'on exploita des mines d'ardoise et Niganiche sur le golfe du Saint-Laurent, qui fut un port de pêche important.

La forteresse de Louisbourg qui coûta plusieurs millions de livres françaises de l'époque procura du travail à de nombreux ouvriers en plus de créer une demande importante pour des matériaux de construction: bois, pierre, ardoise, etc. Ces dépenses favorisèrent l'économie de l'île jusqu'à la fin de la période française parce qu'on travailla aux fortifications qui furent constamment en état de réparation par faute de l'utilisation de mauvais matériaux et à cause de la corruption des administrateurs qui empochaient une partie des sommes allouées à la construction.

Le gouvernement canadien a consacré plusieurs millions de dollars pour la reconstruction de la forteresse démolie par les Anglais en 1758. Si l'aspect militaire frappe beaucoup l'imagination des visiteurs à cause de l'ampleur des murailles et de l'importance des constructions de type militaire, nous devons garder à l'esprit la vocation maritime de Louisbourg. La ville servit de port de pêche et d'entrepôt maritime à l'époque. Au moins 1,000 personnes étaient reliées de façon directe ou indirecte aux pêcheries, tandis qu'un nombre important d'individus s'occupaient de commerce international. Très tôt, Louisbourg devint un important entrepôt de commerce international. Alors que 31 navires accostaient à Louisbourg en 1717, plus de 100 bateaux déchargèrent leurs cargaisons en 1723. De la France arrivaient vêtements, draps, objets de quincaillerie, sel et vin. De son côté, la Nouvelle-France expédiait céréales, animaux vivants (chevaux, boeufs, moutons), bois et légumes. Des Antilles provenaient sucre, mélasse, rhum, café et tabac.

L'influence des pêcheries de l'Île Royale fut telle qu'elle amena le déclin de l'industrie de la pêche des colonies de la Nouvelle-Angleterre, les pêcheurs préférant apporter leur poisson à Louisbourg avant qu'il soit réexpédié ailleurs.

Les Acadiens de la Nouvelle-Écosse participèrent eux aussi au commerce avec l'Île Royale même si cela leur était théoriquement défendu. De Beaubassin à la Baie Verte des animaux vivants, céréales et fourrures traversèrent l'isthme et furent acheminés par bateau jusqu'à Louisbourg. L'argent reçu en contrepartie de ce commerce ne fut pas réinvesti, mais au contraire, thésaurisé. Comme ils se livraient à un commerce défendu, les Acadiens ne laissèrent que peu de documents à ce propos; il n'en demeure pas moins que s'ils purent envoyer des produits agricoles cela témoigne d'une production alimentaire excédentaire. Les 16 bateaux affectés à ce commerce en 1740 laissent croire que la vie agricole des Acadiens était un succès.

Même si les autorités d'Annapolis Royal étaient au courant du commerce de contrebande, elles purent faire très peu de choses, car hormi, les résidents de la capitale, tous les Acadiens vivaient à au moins 100 milles (160 km) du siège du gouvernement. C'était là une difficulté majeure du gouvernement anglais qui, dans l'ensemble, eut peu de contact avec la population. Les Acadiens continuèrent comme auparavant à développer leurs terres, entretenir leurs digues, pêcher, chasser, et accroître leur famille.

 

 


Source :
Petit manuel d'histoire d'Acadie, de1670 à 1755, Librairie Acadienne, Université de Moncton, Jean Daigle, 1976

Dernière mise à jour : ( 28-07-2008 )