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L'histoire acadienne, au bout des doigts

Refus de la neutralité acadienne Version imprimable

 

À partir de cette période, la situation des Acadiens devint de plus en plus précaire. Des objectifs politiques furent mis de l'avant par les deux grandes métropoles européennes sans que la population française ne soit consultée. La France, par la construction du fort Beauséjour et Gaspereau en 1751 sur l'isthme de Chignectou et l'utilisation de missionnaires dont Le Loutre pour maintenir l'agitation chez les populations acadienne et indienne cherchait à créer une Nouvelle Acadie française dans ce qui est aujourd'hui le Nouveau-Brunswick. Elle força l'émigration des Acadiens de Beaubassin au nord de la rivière Missaguash, soi-disant frontière entre les prétentions françaises et anglaises, exigea d'eux une fidélité inconditionnelle sous peine de déportation et fit peser la menace indienne pour obtenir leur adhésion à la politique française.

De leur côté, les activités anglaises créaient, elles aussi, un sentiment d'insécurité. La construction de forts à Grand-Pré en 1749, à Piziquid en 1750 et à Beaubassin en 1751, ainsi que l'exigence de prêter un serment sans réserve en 1749 fit comprendre aux Acadiens que leur situation avait dramatiquement changé depuis quelques années. Incapables de tolérer une telle situation, plusieurs préférèrent déménager soit à l'Île Saint-Jean où à l'Île Royale; ils y vécurent une existence misérable ce qui força plusieurs à revenir en Nouvelle-Écosse un peu plus tard.

La politique agressive de la France dans les Maritimes trouve son explication dans le fait que les pressions exercées en Amérique du Nord avaient pour but d'assurer la possession de certaines îles des Antilles (Sainte-Lucie et Tobago), jugées plus importantes au point de vue commercial que l'Acadie. Ainsi donc, l'Acadie était une monnaie d'échange, un moyen de pression à la table des négociations.

Dans ces circonstances, il n'est pas étonnant d'observer une augmentation de la tension en Nouvelle-Écosse qui se fit surtout sentir sur les Acadiens écartelés entre deux positions irréconciliables: fidélité ultime à la France ou allégeance temporaire à l'Angleterre. L'impérialisme des grandes puissances n'admettait pas une telle façon de voir les choses; il fallait que les Acadiens prennent position. C'est justement ce qu'ils voulurent éviter de peur de s'attirer des représailles. C'était là essentiellement leur position lorsqu'en 1749 le gouverneur Cornwallis leur demanda de prêter un serment sans réserve sous peine d'être expulsés. Bien qu'ils sentirent que la situation avait dramatiquement changé depuis quelque temps, ils ne voulurent pas modifier leur position et rejetèrent l'ultimatum anglais par la voix de leurs délégués. Cornwallis dut reculer préférant solidifier la position anglaise avant d'aller plus loin. Son successeur Hopson préféra ne pas soulever la question afin de maintenir une certaine tranquillité administrative dans la colonie.

Lorsqu'en 1753, Charles Lawrence fut nommé lieutenant général, les Acadiens ne croyaient pas que la situation allait changer, c'est pourtant ce qui arriva. Lawrence fut le premier administrateur anglais de la colonie qui, dans sa correspondance avec le «Board of Trade», envisagea le fonctionnement de la Nouvelle-Écosse sans la présence des Acadiens. La reprise de la guerre entre la France et l'Angleterre en 1754 allait permettre à Lawrence de mettre ses idées à exécution.

Avec la guerre, les Anglais voulaient assurer la sécurité de la Nouvelle-Écosse. Lawrence mit sur pied avec son supérieur hiérarchique Shirley du Massachusetts, un corps expéditionnaire pour déloger les Français de l'isthme de Chignectou. Le général Monckton s'acquitta bien de sa tâche en prenant les forts Beauséjour et Gaspareau en juin 1755.

En juillet, Lawrence, qui avait fait venir les députés acadiens devant le Conseil d'Halifax pour régler une fois pour toutes la question du serment, fut surpris de voir que la perception des événements de ces derniers n'avait pas changé. Les Acadiens voulaient débattre et discuter la question du serment tandis que le Conseil, jouissant des pouvoirs législatifs et exécutifs, désirait les voir accepter un serment de loyauté sans réserve. Profitant de la présence de l'amiral Boscawen et de sa flotte dans le port d'Halifax, ainsi que des troupes de la Nouvelle-Angleterre dans la colonie, le Conseil prit la décision de déporter les Acadiens surtout après que la nouvelle de la défaite de l'armée du général Braddock dans la vallée de l'Ohio fut connue à Halifax à la fin de juillet 1755.

Une fois la déportation statuée, les habitants des différents établissements furent rassemblés et l'embarquement sur les bateaux commença pour durer jusqu'à la fin de décembre de la même année. Plusieurs Acadiens pensèrent échapper à la dispersion en s'enfuyant dans les bois ou en tentant de trouver un refuge au nord du Nouveau-Brunswick, à l'Île Saint-Jean où à l'Île Royale. Mais pour beaucoup, ce fut peine perdue, car la déportation des colons acadiens se continua jusqu'en 1763; pourchassés le long des côtes du Nouveau-Brunswick et appréhendés par les troupes anglaises à l'Île Saint-Jean, ils furent embarqués sur des bateaux en partance pour les colonies américaines ou l'Angleterre. Certains ne quittèrent pas la Nouvelle-Écosse; ils furent gardés prisonniers à Halifax et ils furent affectés aux travaux de fortification.

L'épisode de la dispersion causa de nombreuses pertes de vie, surtout après le départ des bateaux. Les tempêtes en mer, le surchargement des navires, le manque d'eau et de nourriture, ainsi que les mauvaises conditions sanitaires causèrent la perte de plus du tiers des passagers, tandis que d'autres navires coulèrent corps et biens. En plus de perdre leurs biens et d'être séparés des membres de leur famille, les Acadiens durent affronter l'accueil hostile des colons américains qui, du Massachusetts à la Caroline du Sud, se plaignirent de ne pas avoir été prévenus de l'arrivée de ces prisonniers et de la surcharge de dépenses causée par leur présence.

Dans plusieurs cas, des bateaux furent forcés de revenir en Nouvelle-Écosse, car les administrateurs des colonies refusèrent tout simplement d'accorder le droit d'asile aux déportés. Apatrides, des Acadiens déportés entreprirent, dès leur débarquement, un long périple qui allait les mener aux Antilles, en France, aux Maritimes et en Louisiane à la recherche d'une nouvelle patrie où ils pourraient refaire leur vie. Ceux qui revinrent dans les Maritimes trouvèrent leurs terres occupées par les Anglais ce qui les força à s'établir à d'autres endroits.

En rapportant les événements aux autorités anglaises, Lawrence insista surtout sur le peu de dépenses occasionnées par la déportation et sur la solution définitive du problème acadien en Nouvelle-Écosse. En 1756, le «Board of Trade» accordait une promotion au lieutenant-gouverneur Lawrence en le nommant gouverneur de la Nouvelle-Écosse; par ce geste on acceptait le fait accompli.


Aux yeux des Anglais, la déportation signifiait la conquête des Acadiens.

 


Source :
Petit manuel d'histoire d'Acadie, de1670 à 1755, Librairie Acadienne, Université de Moncton, Jean Daigle, 1976


Dernière mise à jour : ( 29-07-2008 )
 
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