Partie 9 - poême

 

Poème Évangéline

Un conte d'Acadie
Henry Wadsworth Longfellow
(traduction française de Pamphile LeMay (1837-1918))
 

SECONDE PARTIE - III


Au bord de la rivière, en un charmant endroit,
Un endroit où régnait la paix, luisait le toit
Dont les proscrits, de loin, avaient vu la fumée.
Un chêne l'ombrageait. La mousse parfumée
Et le gui merveilleux qu'en la nuit de Noël
Venait couper, selon le rite solennel,
Avec la serpe d'or, le mystique druide,
Grimpaient légèrement au chêne, leur égide.

C'était le toit d'un pâtre. Il était large et bas.
Un jardin l'entourait où les fleurs, sous les pas
Des visiteurs ravis, versaient d'étranges baumes.
Derrière ce jardin se déroulaient les chaumes.
On avait abattu, dans un bosquet, tout près,
Pour bâtir la maison, les plus altiers cyprès.
Des poteaux élégants portaient la galerie;
Et la vigne légère, et la rose fleurie,
Que venait caresser l’oiseau-mouche coquet,
Ornaient tous ces poteaux d'un odorant bouquet.
Au bout, presque cachés sous la ramure épaisse,
Sans cesse bourdonnant et roucoulant sans cesse,
Étaient l'ardente ruche et le doux colombier :
L'abeille travailleuse et l'amoureux ramier.

Ces lieux étaient plongés dans un calme sublime,
Les rayons du soleil doraient encor la cime
Des bois mystérieux qui frangeaient l’horizon,
Mais les ombres déjà planaient sur la maison.

La fumée, en sortant des hautes cheminées,
Formait des orbes bleus, des vagues satinées,
Qui rayaient le ciel pur, comme un rustique andain
Raie un champ que l'on fauche. Et, parti du jardin,
Derrière la maison, par un bosquet de chêne,
Un sentier conduisait, large ruban d'ébène,
Jusques à la prairie où de chaudes lueurs
Le soleil inondait les gazons et les fleurs.

Et c'était comme un lac dont les ondes bénignes
Auraient dormi. Les ifs où s'accrochaient les vignes,
Sombres dans l'or du soir, paraissaient des vaisseaux
Que le calme profond enchaînait sur les eaux.

Sur un cheval ardent qui hennit et folâtre,
Des bords de la forêt, voici venir un pâtre.
Il revêt un pourpoint fait de peau de chevreuil.
Sa figure bronzée a presque de l’orgueil
Quand, sous le sombrero, son regard se promène,
Satisfait et ravi, sur l’admirable scène
Qu'autour de lui le soir déroule lentement.
Les troupeaux, çà et là, broutent paisiblement
La pointe du gazon et la feuille moelleuse.
Ils savourent surtout la fraîcheur vaporeuse
Qui s’élève de l’onde et s'étend sur le pré.

Arrêtant son cheval sur le champ diapré,
Il prend le cor vibrant que sa ceinture porte,
Et souffle une clameur, à la fois douce et forte,
Qui va se perdre au loin dans les brumes du soir.
Au signal familier, aussitôt, l'on put voir
Les troupeaux attentifs lever leurs cornes blanches,
Au-dessus du foin vert et des légères branches,
Comme des flots d'écume au-dessus des cailloux.
En silence, d'abord, ouvrant leurs grands yeux roux,
Pendant une minute ils regardent, hésitent,
Et puis, tous en beuglant soudain se précipitent
Comme un nuage épais dans les champs élargis.
Et le berger vaillant revient à son logis.

Et, comme il arrivait sur son cheval superbe,
Par la sente battue en l'épaisseur de l’herbe,
Il voit, près du jardin, la vierge et le pasteur
Qui s'avancent vers lui, marchant avec lenteur,
Et comme intimidés. Ravi de l’aventure,
Il s'arrête, d'un bond descend de sa monture,
Et court au-devant d'eux en leur ouvrant ses bras.

Les voyageurs, d'abord, restent dans l’embarras;
Mais, sous les traits brunis de ce vieux pâtre agile,
Ils retrouvent bientôt le forgeron Basile.

Basile, tout joyeux, conduit dans le jardin
Ces amis que le ciel lui redonne soudain;
Et là, sous la tonnelle et dans un nid de roses,
Ensemble on s'entretient de mille et mille choses.
On parle du présent, on parle du passé,
On parle du pays d'où chacun fut chassé…
On voudrait épuiser un sujet qu'on effleure;
On est joyeux ou triste, et l'on rit et l'on pleure.

Parfois Évangéline, à travers le bosquet,
Plonge, silencieuse, un regard inquiet
Elle cherche quelqu'un, puis, elle craint d'entendre
Pourquoi l'objet aimé se fait encore attendre.
N'est-ce donc pas ici qu'elle doit le revoir?

Basile, cependant, comprend le désespoir
Qui couve dans le coeur de la jeune proscrite;
Il ressent à son tour une angoisse subite,
Et, d'une voix émue, il demande aussitôt :
« N'avez-vous rencontré nulle part un canot?...
« Du lac et des bayous, il a suivi la route.
« Gabriel le conduit. Vous l'avez vu sans doute. »

Or, dès les premiers mots que l'hôte prononça,
Sur le front de la vierge un nuage passa;
Au bord de sa paupière une larme vint luire,
Puis, avec un accent qu'on ne saurait traduire,
Elle s'écria : « Ciel! Gabriel est parti! »

Son coeur dans le chagrin parut anéanti,
Et les échos du soir tristement murmurèrent :
« Gabriel est parti! » Les exilés pleurèrent,
Le forgeron Basile avec bonté reprit :
« Ne laisse pas le trouble agiter ton esprit
« Sèche tes pleurs; le ciel soutiendra ton courage.
« Attends. Désespérer serait lui faire outrage.
« Ce matin seulement il est parti d'ici,
« Ton Gabriel. Le sot, d'avoir si vite ainsi,
« Et presque malgré moi, fui notre domicile.
« Il était devenu d'une humeur difficile;
« Il haïssait le monde et n'endurait que moi;
« Il ne parlait jamais, ou bien parlait de toi.
« Dans les cantons voisins aucune jeune fille
« Ne semblait, à ses yeux, vertueuse ou gentille.
« Pour lui rien ici-bas n'avait plus de valeur.

« Son départ m'a rempli d'une grande douleur,
« Et sans cesse j’entends sa dernière parole.
« Il doit, dans Andayès, une ville espagnole,
« Acheter des mulets aux pieds sûrs et mordants.
« Il veut suivre, de là, sous des cieux moins ardents,
« Les Sauvages du Nord jusque sous la Grande Ourse.
« Il chassera partout, dans cette longue course,
« Le fauve et le gibier au fond des bois épais.

« Calme-toi, mon enfant, et goûte encor la paix;
« Nous saurons retrouver cet ami téméraire.
« Sa nacelle d'écorce a le courant contraire.
« Demain nous partirons, sitôt que le matin
« Fera luire les eaux d'un reflet argentin,
« Et que la nuit t'aura quelque peu reposée.
« En côtoyant des bords tout brillants de rosée,
« Nous rejoindrons bientôt l'amoureux braconnier,
« Et tu pourras alors le faire prisonnier. »

On entendit soudain des voix vives et gaies;
On vit des jeunes gens franchir les vertes haies
Qui miraient dans les eaux leur riche floraison.
Ils portaient en triomphe, à travers le gazon,
Michel, le vieux joueur de violon rustique.

Basile le gardait comme un dieu domestique;
Il mêlait, lui du moins, quelques rires aux pleurs,
Et son archet créait des sons ensorceleurs.
Il rappelait vraiment un dieu gai de la fable.
Il était renommé pour sa manière affable,
Pour ses cheveux d'argent et pour son violon.

« Longue vie à Michel, le roi du rigodon! »
Crièrent, à la fois, en écartant les saules,
Les gars qui le portaient sur leurs fortes épaules.

Or, le Père Félix, en les apercevant,
De la main les salue. Il s'avance au-devant.
Dès qu'il voit s'approcher le vénérable prêtre,
Le vieux ménestrel sent, dans son âme, renaître
Les ravissants transports d'un âge plus heureux.
Il se met à pleurer. Des souvenirs nombreux
À ses esprits émus alors se présentèrent,
Et vers les temps enfuis ses pensers remontèrent.

L'enfant du vieux Benoît baise ses cheveux blancs.
Il la presse en ses bras, en ses bras tout tremblants,
Et mouille son front pur de ses brûlantes larmes.
La pauvre Évangéline, elle avait bien des charmes
Quant il la fit danser pour la dernière fois,
Avec son Gabriel et les gais villageois,
Au son du violon, sous le ciel d'Acadie!
Elle ne s'était pas, à coup sûr, enlaidie,
Et plus pur que jamais devait être son coeur
Éprouvé longuement au creuset du malheur.

Oubliant tout à fait ses épreuves amères,
Basile embrasse alors les filles et les mères.
Il crie, il rit, il chante. Il se croit tout permis
Pour mieux montrer sa joie à ses anciens amis.
Ces proscrits de Grand-Pré que le hasard rassemble,
Longtemps dans le jardin s'entretiennent ensemble
Du bonheur qu'ils goûtaient au village natal,
Et des maux endurés depuis l'arrêt fatal.
Ils admirent pourtant l’existence tranquille
Que passe à l'étranger le forgeron Basile;
Ils écoutent longtemps, avec avidité,
Le récit qu'il leur fait de la fécondité
De ces prés sans confins, dont la riche verdure
Nourrit mille troupeaux errant à l'aventure.
Et, quand l'ombre du soir vient à se déployer,
Telle une sombre tente, ils font cercle au foyer.
On prépare aussitôt un souper confortable.
Puis, le Père Félix, debout près de la table,
Récite à haute voix le bénédicité,
Et chacun dit : Amen, en sa félicité.

Lentement, lentement, sur la fête nouvelle
La nuit silencieuse avait ouvert son aile.
Tout était, au dehors, calme et tranquillité.
Donnant au paysage un éclat argenté,
La lune se leva souriante, sans voile,
Et monta dans l'azur où scintillait l'étoile.

Le bonheur du moment : rires, pleurs et couplets,
Sur le deuil du passé renvoyait ses reflets.
On causait avec verve, et le front des convives
Semblait s'illuminer de lumières plus vives
Que celles qui flottaient au sombre firmament.
Le pâtre réjoui versait abondamment,
Dans les vases d'étain, le doux jus de la vigne.
Aux siècles de la fable, il aurait été digne
De verser le nectar à la table des dieux.

Alors que fut fini le repas copieux,
Il alluma sa pipe et parla de la sorte :
« Oui, vous tous, mes amis, qui frappez à ma porte,
« Après avoir erré sous des cieux inconnus,
« Je vous le dis encor, soyez les bienvenus!
« L'âme du forgeron ne s'est pas refroidie.
« Il se souvient toujours de sa belle Acadie,
« Et de l'humble maison qu'il avait à Grand-Pré.
« Pour lui le malheureux est un être sacré.

« Demeurez avec moi dans ces fertiles plaines.
« Le sang n'y gèle pas, croyez-le, dans nos veines,
« Comme chez-nous, l'hiver. Dans le sol nuls cailloux
« Du laboureur actif n'excitent le courroux,
« Point d'insectes méchants. Et, dans chaque domaine,
« La mordante charrue, au printemps, se promène
« Comme un esquif léger sur la nappe des eaux.

« On ne voit pas tarir nos limpides ruisseaux.
« Dans toutes les saisons les orangers fleurissent,
« Et les fruits les plus beaux en nos vergers mûrissent.
« Des flots de blonds épis roulent sur les guérets,
« Et des bois précieux remplissent les forêts.
« Au milieu de nos prés, on voit sans cesse paître
« De sauvages troupeaux dont chacun est le maître.

« Quand nos toits sont debout au milieu des moissons,
« Que nos grasses brebis aux épineux buissons
« Accrochent, en passant, leurs blancs flocons de laine,
« Que d'un foin parfumé chaque grange est bien pleine,
« Que dans les prés en fleurs qui s'étendent là-bas,
« Les génisses vont paître ou prendre leurs ébats,
« Nul roi George ne vient, par d'infâmes apôtres,
« Sans honte nous ravir tous ces biens qui sont nôtres. »

De sa large narine, alors, le laboureur
Fit jaillir tout à coup un souffle de fureur,
Et frappa de son poing la table de mélèze.
Ses compagnons, surpris, bondirent sur leur chaise,
Et le Père Félix oublia, cette fois,
La prise de tabac qu'il tenait dans ses doigts.

Mais un instant après, le sourire sur les lèvres,
Il ajouta : « Pourtant, défiez-vous des fièvres :
« Elles sont bien à craindre en ces brûlants climats.
« Comme dans l'Acadie, on ne les guérit pas
« En mettant à son cou, durant mainte journée,
« Une écale de noix avec une araignée. »

On poursuivait gaiement l’entretien familier,
Quand on entend, dehors, sur le vaste escalier,
Avec un bruit de pas un torrent de paroles.
C'étaient les invités : quelques jeunes créoles
Et des Acadiens devenus des planteurs,
Loin du joug odieux de leurs persécuteurs,
Sur le sol fortuné qui leur offrait asile.

Bien souvent ils venaient chez leur ami Basile.
Plusieurs avaient connu, dans le bourg de Grand-Pré,
La jeune Évangéline et le pieux curé.
Il était beau de voir, réunis au même âtre,
Tous ces infortunés. En effet, chez le pâtre,
Après de longs labeurs et des courses sans fin,
Des voisins, des amis se retrouvaient enfin.
On riait follement, on pleurait sans contrainte,
Et les mains se serraient dans une chaude étreinte.
Les inconnus d'hier, amis dorénavant,
Sans gêne obéissaient à l'entrain émouvant;
Ils voyaient naître là des amitiés sincères…
Partout, il est bien vrai, les malheureux sont frères.

Dans ces épanchements, dans ces rires, alors
Passa, comme un rayon, une gerbe d'accords.
Michel, le troubadour aux longs cheveux de neige,
Et tous les jeunes gens qui lui faisaient cortège,
Se trouvaient réunis dans un autre salon,
Et le barde accordait, ému, son violon.

Bientôt les pieds brûlants s’agitent en cadence.
Sous les lambris de cèdre, une bruyante danse
Enlace savamment ses orbes gracieux,
Et des éclairs de joie embrasent tous les yeux.
Pareils à des enfants que le plaisir transporte,
Ils ont tout oublié. La danse les emporte
Avec un grand froufrou de légers cotillons,
Au rythme de l'archet, dans ses gais tourbillons.

Ainsi depuis longtemps l'allégresse s'exhale.
L'un près de l'autre assis, tout au bout de la salle,
Basile et le pasteur parlaient, les yeux baissés,
De leur ami Benoît qui les avait laissés.
Évangéline, seule, au gré des rêveries,
Promenait ses regards sur les vastes prairies;
Bien des tristes pensers et des chastes désirs
S'éveillaient dans son âme au bruit de ces plaisirs!
Les propos amusants, la danse, la musique
La rendaient plus pensive et plus mélancolique;
Elle entendait toujours les regrettés accents
De l'océan plaintif et des bois fleurissants.

Elle sortit pour fuir une joie importune.
Le vent ne soufflait point; l'oiseau dormait. La lune
De ses rayons d'argent inondait les champs mûrs,
Et les grands bois lointains qui paraissaient des murs.
À travers les rameaux, sur la calme rivière,
Tombait de place en place un réseau de lumière,
Comme tombe un penser d'espérance et d'amour
Dans l'âme qui se trouble et qui se ferme au jour.
Et la fleur, autour d'elle, ouvrait son brillant vase,
Sa corolle d'argent, sa coupe de topaze,
Et la fleur répandait, humblement et sans bruit,
Un suave parfum sur l'aile de la nuit;
Et c'était son hommage à l’adorable Maître
Qui veillait sur ses jours après l’avoir fait naître.
Mais l'âme de la vierge offrait alors aux cieux
Un arôme plus pur et plus délicieux;
Comme la fleur, pourtant, elle était exposée
Aux ténèbres du soir, à l'amère rosée.

Or, quand elle eut franchi la porte de l'enclos,
Sous les chênes ombreux où mouraient les échos,
À pas lents, et rêveuse, elle suivit la sente,
Et la lune inonda son âme languissante
D'une tristesse douce. Alors tout se taisait.
Sur l’immense prairie, au loin, tout reposait,
Hors, dans le chaud gazon, les tendres bestioles
Et, dans l'air embaumé, de vives lucioles
Dont le vol dessinait de légers traits de feu.

Au-dessus de son front, dans le fond du ciel bleu,
Pensers du Tout-Puissant rendus partout visibles,
Vivement scintillaient les étoiles paisibles.
L'homme n'admire plus ces merveilles de Dieu;
Seulement il a peur quand il voit, au milieu
De ce temple divin qui s'appelle le Monde,
Paraître une comète ardente, vagabonde,
Comme une main de feu qui burine un arrêt.

Elle était sur la terre, et sa pauvre âme errait
Dans les champs infinis où rayonne l'étoile,
Comme sur la mer vaste une barque sans voile.
Triste, elle s'écria : «Gabriel, Gabriel,
« Où fuis-tu? Vers quels lieux te conduit donc le ciel?
« N'entends-tu pas enfin ma voix qui se lamente?
« Ne devines-tu pas l'ennui qui me tourmente?
« Je te cherche partout, nulle part ne te vois!
« J'écoute tous les sons et n'entends point ta voix!
« Oh! que de fois ton pied, loin du bruit de la foule,
« A suivi ce chemin qu'aujourd'hui mon pied foule!
« Sous ces chênes feuillus combien de fois, le soir,
« Fatigué du travail, es-tu venu t'asseoir,
« Pendant que loin de toi, sur la mousse endormie,
« En rêve te voyait ta malheureuse amie!
« Que de fois sur ces prés ton anxieux regard
« A dû, comme le mien, s'en aller au hasard!
« Gabriel! Gabriel! oh! quand te reverrai-je?
« Quand donc, mon bien-aimé, quand te retrouverai-je? »

Elle entendit alors gazouiller, tout auprès,
Un jeune engoulevent juché sur un cyprès
Son refrain, aussi doux que le chant de la flûte,
Ondula sous les bois, comme l'onde qui lutte
Contre les chauds baisers des brises du matin,
Et d'échos en échos mourut dans le lointain.

« Patience! » souffla, du fond calme des ombres,
L'esprit mystérieux de tous les chênes sombres;
Et des prés où la lune ouvrait un blanc chemin,
Un long soupir monta qui répondit : « Demain! »

Le lendemain, l'aurore était toute riante;
Les plantes se berçaient sur leur tige pliante,
La nuit sur le gazon avait versé des pleurs,
Et, dans l’air attiédi, partout, de blanches fleurs
Répandaient les parfums de leurs coupes d'albâtre.
Le prêtre, sur le seuil de la maison du pâtre,
Dit à ceux qui partaient : « Mes bons amis, adieu!
« Je vais, priant pour vous, vous attendre en ce lieu.
« Ramenez-nous bientôt le prodigue frivole;
« Ramenez-nous aussi la jeune vierge folle,
« Qui dormait sous les bois quand l'époux est venu. »

« Adieu! dit souriant et d'un air ingénu,
« La douce enfant. Adieu! Que le Seigneur nous guide! »

Puis, avec le vieux pâtre elle descend, rapide,
Au bord de la rivière où, près des verts sentiers,
Les attendaient déjà de vaillants canotiers.

Le matin rayonnait sur la vague sereine.
Ils partirent. Docile à l’aviron de frêne,
Sous l'élan vigoureux, le rapide canot
S'éloigna du rivage et disparut bientôt…
Ils poursuivaient en vain, dans leur course obstinée,
Celui que devant eux, hélas! la destinée
Chassait comme une feuille au sein nu des déserts,
Ou comme le duvet de l'oiseau dans les airs.

Cependant un jour fuit, un autre, un autre encore!
Au coucher du dernier pas plus qu'à son aurore,
Ils n’ont pu découvrir la trace du fuyard.
Ils ont interrogé longtemps, de toute part,
La colline et le lac, la forêt et le fleuve,
Et dans ces lieux nouveaux, en leur amère épreuve,
La vierge défaillante et le rameur pensif
N'ont eu que des rumeurs pour guider leur esquif.

Et la nacelle, comme une aile ouverte, vole,
Puis elle atteint enfin cette ville espagnole,
Andayès qui se plaît au bruit comme aux chansons.
Les ombres s'étendaient sur les champs de moissons.
Ils descendent, lassés, dans une vieille auberge.
Aussitôt, grand parleur, l’hôte qui les héberge
Leur dit que Gabriel, guide, amis et chevaux,
Sont la veille, partis, pour des pays nouveaux.

Dernière mise à jour : ( 04-03-2008 )