Partie 10 - poême

 

Poème Évangéline

Un conte d'Acadie
Henry Wadsworth Longfellow
(traduction française de Pamphile LeMay (1837-1918))
 

SECONDE PARTIE - IV


Bien loin, à l'occident, sont des campagnes nues
Où des chaînes de roc s'élèvent jusqu’aux nues.
Sous le souffle glacé des éternels hivers,
Barrières de géants, leurs sommets sont couverts
D'une neige éclatante et d'une glace épaisse.
Un sommet çà et là se déchire et s'affaisse,
Pour ouvrir une gorge, un ravin spacieux
Où passent, en criant sur leurs âpres essieux,
Les pesants chariots de quelque caravane.

Au couchant, l’Oregon roule une eau diaphane;
De cascade en cascade, au loin, vers le levant,
On voit le Nebraska verser son flot mouvant.

Sous le ciel du midi, des torrents, des rivières,
Charriant sans repos les sables et les pierres,
Soulevés par les vents, en d'étranges réveils
Descendent des sierras, avec des bruits pareils
Aux multiples accords des harpes et des lyres
Que font vibrer, le soir, les amoureux délires.

Et puis, entre les flots de ces larges torrents,
Qui s'élancent fougueux vers des cieux différents,
Se déroule sans fin la zone des prairies,
Océan de gazon, mers ou plaines fleuries
Qui bercent au soleil, en un lointain profond,
Leurs vagues d’amorphas, de roses, de mil blond.

Là, libres, courroucés, ou pleins d'ardeurs jalouses,
Les bisons font trembler les immenses pelouses;
Là courent les chevreuils et les souples élans,
Les sauvages chevaux avec les loups hurlants;
Là s’allument des feux qui dévorent la terre;
Là des vents fatigués soufflent avec mystère!
Des enfants d'Ismaël les sauvages tribus
Arrosent de leur sang ces déserts étendus,
Et l'avide vautour, hâtant ses ailes lentes,
En tournoyant dans l'air suit leurs routes sanglantes.
Il semble, esprit vengeur des vieux chefs massacrés,
Trouver, pour fuir au ciel, d'invisibles degrés.

On voit monter parfois un orbe de fumée :
Là s'élève une tente. Une horde affamée,
Poussant des cris de guerre et la haine dans l'oeil,
Danse autour du brasier où rôtit le chevreuil.
De place en place aussi, se mirant aux fontaines
Qui sillonnent parfois ces retraites lointaines,
Fleurit quelque bosquet où l'oiseau va chanter;
Et l'ours morose vient, tout en grognant, hanter
Les cavernes d'un roc, le fond d'une ravine
Où sa griffe déterre une amère racine.
Puis, percé de clous d'or, bien au-dessus de tout,
Comme un toit protecteur le ciel s'étend partout.

Mais toujours Gabriel continuait sa course.
Il avait remonté plus d'un fleuve à sa source;
Et près des monts Ozark au flanc sévère et nu,
Avec ses compagnons il était parvenu.
Et, depuis bien des jours, le vieux pâtre et la vierge
Avaient quitté la ville et la petite auberge,
Où l'hôtelier leur dit le départ du trappeur.

Toujours encouragés par un espoir trompeur,
Avec des Indiens au visage de cuivre,
Ils s'étaient mis en route, empressés à le suivre.
Parfois, ils croyaient voir, à l'horizon lointain,
S'élever vers le ciel, dans l'air pur du matin,
De son camp éloigné la fumée ondulante;
Le soir, ils ne trouvaient qu'une cendre brûlante,
Que des brasiers éteints et des charbons noircis.

Or, malgré la fatigue et malgré les soucis,
Ils ne s'arrêtaient pas. Toujours pleins de courage,
Ils poursuivaient toujours leur pénible voyage.
On eut dit qu'une fée au pouvoir merveilleux,
D'un grand lac de lumière étalait, sous leurs yeux,
Le mirage trompeur. Ils étaient dans l'ivresse;
Mais ce lac enchanté fuyait, hélas! sans cesse.

Comme ils avaient, un soir, dressé leur campement,
Ils virent s'avancer près du feu de sarment,
Une jeune Indienne. Elle n'a rien de rude,
Et prévient le respect par son humble attitude.
On lit bien la douleur en son oeil abattu,
Mais on y lit de même une forte vertu.
C'était une Shawnee. Elle allait aux montagnes
Rejoindre ses parents et ses jeunes compagnes,
Qu'elle avait dû quitter pour suivre son époux
À la chasse aux castors, aux ours, aux caribous,
Jusqu'aux lieux où l'hiver étend son aile blanche;
Mais elle avait vu là le féroce Comanche,
Enivré de fureur, du tomahawk armé,
Massacrer sous ses yeux son époux bien-aimé,
Un chasseur canadien, un fier visage pâle,
Qui brava ses bourreaux jusqu'à son dernier râle.

Elle parlait ainsi d'un ton plaintif et lent;
Les exilés souffraient tout en la consolant.
Quand la braise eut doré le bison délectable,
Ils la firent asseoir à leur modeste table.

Lassés du poids du jour et du poids des ennuis,
Quand le repas fut fait, que le voile des nuits
Eut ouvert, sous le ciel, ses grands replis humides,
Les fils de l'Acadie et leurs fidèles guides
Livrèrent au repos leurs membres fatigués.

Pendant que follement les rayons chauds et gais
Du brasier qui flambait dans la plaine assombrie,
Jouaient sur leur front blême et leur joue amaigrie,
L'Indienne s'en vint, l'âme pleine de deuil,
Sur le gazon s'asseoir, devant le fauve seuil
De la tente où veillait la vierge d'Acadie.
Elle redit encor la noire perfidie
Qui sema son chemin d’ineffables douleurs.

Elle redit aussi, les yeux noyés de pleurs,
Avec le doux parler de la forêt sauvage,
Ses amours, ses bonheurs, et son triste veuvage.
La vierge de Grand-Pré pleurait à ces récits;
Les maux qu'elle endurait lui semblaient adoucis,
Car elle avait, près d’elle, une autre infortunée
À d'éternels chagrins comme elle destinée,
Un coeur brûlant d'amour, déçu, blessé, flétri,
Et privé pour jamais de son objet chéri.
Le souffle de douleur qui passait sur ces femmes
Les liait l'une à l'autre et faisait soeurs leurs âmes.

La proscrite à son tour dit aussi ses émois;
Elle dit ses chagrins et depuis quels longs mois,
Bien loin de sa patrie, elle allait désolée;
Et la femme des bois, la figure voilée,
L'écoutait en silence, assise à quelques pas.
Ses yeux étaient de flamme; elle ne pleurait pas,
Et quand Évangéline eut fini son histoire,
Muette, elle pencha la tête. On eut pu croire
Qu'une terreur nouvelle obsédait son esprit.
Mais un moment après, tressaillante, elle prit
Dans ses deux frêles mains, les mains de l'exilée,
Puis, assise à ses pieds, d'une voix modulée,
Elle lui raconta l'histoire de Mowis,
Le fiancé de neige.

« Il épousa jadis
« Une vierge sensible aux aveux de sa bouche,
« Et sous les bois épais, il partagea sa couche.
« Mais quand l'aube rosit le ciel de l'orient,
« Il sortit du wigwam, gracieux, souriant,
« Et bientôt, par degrés, se fondit comme une ombre
« Aux baisers du soleil qui chassait la nuit sombre.
« Et la jeune épousée, en proie à ses regrets,
« Le suivit en pleurant jusqu'au fond des forêts,
« Tendant vers lui les bras pour retarder sa fuite. »

Et, sans se reposer, elle redit ensuite,
Avec le même accent si doux et si charmeur,
Comment, un soir, si l'on en croyait la rumeur,
La belle Lilinau par un brillant fantôme
Avait été séduite. Il venait sous le dôme
Des pins majestueux qui voilaient son séjour,
Et quand elle sortait, vers le déclin du jour,
Comme un souffle odorant qui passe sur les mousses,
Sa voix lui murmurait les choses les plus douces.

Heureuse de sentir son magique pouvoir,
Elle aimait à l'entendre, elle aimait à le voir.
En caressant, un jour, ses verdoyantes plumes,
Elle suivit son vol par les bois et les brumes.
On ne la revit plus. Sa tribu la chercha;
Mais personne jamais, sans doute, n'approcha
Du gîte où l'enchanteur la retenait captive.

Toujours Évangéline écoutait, attentive,
Les contes merveilleux de la femme des bois.
La plaine fleurait bon, et cette douce voix
Lui fit croire, un instant, qu'elle était transportée
Par une fée aimable en la terre enchantée
Que son rêve souvent voyait dans son essor.

Lentement dans la nuit, comme une boule d'or,
La lune se leva sur l’Ozark aux flancs chauves.
Elle fit peu à peu glisser des reflets fauves
Sur les plaines en fleurs et les monts de granit,
Sur les haines de l'antre et les amours du nid.
La tente se drapa de douces lueurs blanches;
Le ruisseau plus gaiement murmura sous les branches;
Les gazons plantureux et les bois étendus,
Dans une mer d'argent, semblaient s'être fondus.
Un souffle parfumé berçait toutes les choses.

L'exilée, à l'aspect des tableaux grandioses,
Sent l'ivresse griser son coeur toujours aimant.
Mais une vague peur, un noir pressentiment
Se glissèrent alors dans son âme timide,
Comme, au coucher du jour, sous la verdure humide,
Un serpent qui se glisse, à travers le buisson,
Jusqu'au nid où l'oiseau module sa chanson.
Ce n'était pas alors une crainte futile
Des choses d'ici-bas; c'était, douce et subtile,
Une voix qui passait dans les vagues de l'air,
Et qui venait du ciel. Comme au feu de l’éclair,
Elle vit que pareille à la femme indienne,
Dans sa course elle aussi, la pauvre Acadienne,
Vainement poursuivait un fantôme menteur.
Tout dormait cependant. Dans le calme enchanteur,
Sur elle le sommeil descendit comme un baume,
Et tout se dissipa : crainte, joie et fantôme.

Aussitôt qu'apparut l'aube du lendemain,
Les vaillants voyageurs reprirent leur chemin.
Jeune et pourtant au deuil à jamais condamnée,
Avec eux s'éloignait la plaintive Shawnee.
Elle dit, appelant la proscrite sa sœur :
« Je connais le pays où passe le chasseur.
« Sur le flanc de ces monts où l'aigle a mis son aire,
« Du côté du couchant, un peuple débonnaire
« Habite un pauvre bourg. C'est une mission.
« On aurait là pour toi de la compassion.
« Le chef de ce village est une robe noire.
« Son souvenir toujours sera dans ma mémoire.
« Son peuple m'est connu. Je l'ai vu bien souvent
« Chanter comme l’oiseau, gémir comme le vent,
« Pendant qu'il lui parlait de la vie éphémère,
« Et du divin Jésus, et de sa sainte mère. »

Évangéline, alors, dit à ses compagnons :
« Allons de ce côté. Hâtons-nous. Atteignons
« Le bourg que la montagne abrite sous son aile.
« Peut-être aurons-nous là quelque bonne nouvelle. »

À peine eut-elle dit, que les aventuriers
Guidèrent vers les monts leurs rapides coursiers.
Quand le soleil entra dans son lit de nuée,
La troupe voyageuse, ardente et dénuée,
Atteignait la montagne et découvrait, au loin,
Une large prairie où se berçait le foin,
Où dormaient çà et là de limpides fontaines;
Elle entendit bientôt monter des voix humaines,
Et vit dans la verdure, au bord d'un grand ruisseau,
Les tentes des chrétiens qui se miraient dans l'eau.

Au pied d'un chêne antique, et parmi les cabanes,
Sur un épais tapis de mousse et de lianes,
Le peuple plein de foi s'était agenouillé.
Il priait. Ce grand chêne, au faîte ensoleillé,
Était l’unique temple. Un crucifix de marbre
Avait été fixé dans l'écorce de l'arbre,
Et semblait reposer un regard triste et doux
Sur les humbles chrétiens tombés à ses genoux.
À travers les rameaux que la lumière dore,
La prière et le chant, le soir comme à l’aurore,
S'élèvent vers les cieux, tel un divin encens.

Les voyageurs, touchés de ces naïfs accents,
S'avancèrent sans bruit, la tête découverte,
Se mirent à genoux sur la pelouse verte,
Et prièrent longtemps avec dévotion.

Quand le prêtre eut donné la bénédiction,
Qui tomba de sa main sur ces têtes chéries,
Comme sur les sillons ouverts dans les prairies,
Tombe le grain de blé de la main du semeur,
Il s'avança vers eux, sollicitant l'honneur
De les avoir dès lors pour hôtes dans sa tente.
Basile, un peu confus, d'une voix hésitante,
L'assure au nom de tous d'un respect filial.

En entendant parler son langage natal,
Le ministre de Dieu sent une grande joie.
Par un large sentier où la verdure ondoie,
Entre deux rangs de gens curieux et dévots,
Il guide à son wigwam les visiteurs nouveaux,
Et pour siège il étend la dépouille du fauve.
Il signe de la croix son front auguste et chauve,
Et simple, et souriant, sur un fruste tapis
Il met le maïs d'or en gâteaux, en épis;
Il leur sert, d'une main qui n'est pas encor lourde,
Pour apaiser leur soif, l'eau fraîche de sa gourde.

Tout en se reposant sur les nattes de peaux,
Ils disent leur histoire. À ces tristes propos,
Le saint prêtre répond d'une voix solennelle :
« L'aube n'a pas six fois aux cieux ouvert son aile,
« Le soleil ne s'est point six fois non plus enfui
« Depuis que Gabriel, car enfin c'est bien lui,
« S'est assis sur la natte où la vierge est assise.
« Pour se rendre à mes voeux, d'une voix indécise
« Il me fit longuement ce triste récit-là;
« Je le bénis ensuite, et puis il s'en alla. »

La voix de ce pasteur était très onctueuse.
C'était l'aimable écho d'une âme vertueuse,
Qui sait trouver léger le fardeau du devoir;
Pour la proscrite, hélas! c'était le désespoir.
Chaque mot dans son coeur qu'un nouveau deuil assiège
Tombe, comme en hiver, les blancs flocons de neige
Dans le nid d'où l'oiseau s'est à peine envolé.

« Il va chasser bien loin, dans le nord désolé,
« Continua le prêtre; à la saison prochaine
« Il viendra de nouveau prier sous le grand chêne. »

Évangéline dit, en poussant un soupir :
« Mon âme est abattue et lasse de souffrir…
« Mon Père, permettez qu'avec vous je demeure,
« Pour attendre l'époux ou bien ma dernière heure. »

Et le missionnaire, accédant à ses voeux,
Répondit tout ému : « Mon enfant, je le veux. »

Le lendemain matin, revêtu de son aube,
Le prêtre dit la messe, à la clarté de l’aube;
Et quand fut consommé l'holocauste divin,
Basile fit seller son coursier mexicain
Et partit. Il allait, jouet d'un triste leurre,
Avec ses guides sûrs regagner sa demeure

Les jours se succédaient lentement, lentement,
Et partout le maïs, qui semblait seulement
Un verdoyant duvet répandu sur la terre,
Quand l'exilée entra dans le bourg solitaire,
Balançait aujourd'hui, comme des flots mouvants,
Ses longues tiges d'or au caprice des vents.
Et l'étrange fouillis de ses feuilles vermeilles
Offrait une cachette aux voraces corneilles,
Ou formait un grenier dont l’agile écureuil,
Pour se gorger, passait à chaque instant le seuil.

On dépouillait déjà, dans l'amour et la joie,
Les épis couronnés d'une aigrette de soie.
Les filles du hameau rougissaient si leur main
Développait alors des graines de carmin;
Les filles rougissaient et cachaient leur visage,
En riant en secret de l’amoureux présage;
Mais elles se moquaient du pauvre épi tortu,
L'appelaient un brigand, un épi sans vertu
Qui ne méritait pas sa place dans la tresse.
Auprès d'Évangéline, étrangère à l'ivresse,
Alors nul rouge épi n'amena Gabriel.

Le prêtre lui disait : « Laisse faire le ciel,
« Et le ciel à la fin entendra ta prière.
« Dans le champ du Seigneur, sois fidèle ouvrière.
« Il est dans nos déserts, mon enfant, une fleur
« Petite, sans orgueil, et sans vive couleur;
« Vers le nord, en tout temps, son calice s'incline.
« C'est une fleur que Dieu, dans sa bonté divine,
« Sème, de place en place, en ces prés étendus,
« Pour diriger les pas des voyageurs perdus.
« La foi dans notre coeur ressemble à cette plante.

« La fleur des passions est toujours plus troublante;
« Elle a plus de couleurs, plus de pompeux éclats,
« Mais soyons défiants, elle trompe nos pas,
« Et son baume suave est, hélas! bien funeste.
« Seule ici-bas la foi, cette plante céleste,
« Est le guide éclairé de nos pas raffermis;
« Et puis ensuite elle orne, au ciel, nos fronts soumis. »

Ainsi venaient déjà les beaux jours de l'automne.
Ils passèrent pourtant! Les fruits de leur couronne
Tombèrent un par un sur le guéret durci…
Gabriel ne vint pas!

L'hiver s'enfuit aussi;
Le printemps embaumé s'ouvrit comme une rose;
L'abeille butina la fleur à peine éclose;
Sur les feuilles des bois, dans le calme des airs,
L'oiseau bleu fit pleuvoir ses cris joyeux et clairs…
Gabriel ne vint pas!

Cependant, sur son aile,
La brise de l'été portait une nouvelle
Plus douce que l'espoir et l'amoureux frisson,
Que le parfum des lis et le chant du pinson.
L'agréable rumeur, vague mais persistante,
Disait que Gabriel avait planté sa tente,
Avec d’autres chasseurs, depuis bientôt un an,
Près de la Saginaw, au fond du Michigan.
Et l'exilée alors, que la terre délaisse,
Compte encor sur le ciel. Et malgré sa faiblesse
Et tout ce qu'a d'amer une déception,
Elle fait ses adieux à l'humble mission.

Des guides s'en allaient vers la Nouvelle-France,
Aux grands lacs. Espérant la fin de sa souffrance,
Elle partit. Bien loin, dans l'immense désert,
Après avoir, hélas! plus d'une fois souffert
D'une cruelle faim et d’une soif acerbe,
Après avoir couché sous l'étoile et sur l'herbe,
Elle atteignit des bois qui s'adossent au Nord,
Et de la Saginaw put explorer le bord.
Un soir, elle aperçut, au fond d'une ravine,
La tente du chasseur… Elle était en ruine!

Sur les ailes du temps s'envolaient les saisons.
La pauvre Évangéline, aux lointains horizons,
Ne voyait pas encor le bonheur apparaître.
Un profond désespoir consumait tout son être.

Sous des cieux, tour à tour ou torrides ou froids,
Elle traîna sa peine ainsi, dans cent endroits.
Tantôt on la voyait, aux missions moraves,
Priant Dieu de briser ses terrestres entraves;
Sur un champ de bataille, aux malheureux blessés,
Tantôt elle portait des secours empressés.
Elle entrait aujourd'hui dans une grande ville
Et demain se cachait dans un hameau tranquille;
Comme un pâle fantôme on la voyait venir,
Et souvent de sa fuite on n'avait souvenir.

Quand elle commença sa course longue et vaine,
Elle était jeune et belle, et son âme était pleine
De suaves espoirs, de tendres passions;
Sa course s'achevait dans les déceptions!

Elle avait bien vieilli : sa joue était fanée;
Sa beauté s'en allait. Chaque nouvelle année
Dérobait quelque charme à son regard serein,
Et creusait sur son front les rides du chagrin.
On découvrait déjà, sur sa tête flétrie,
Quelques cheveux d'argent, aube d'une autre vie,
Aurore dont l'éclat mystérieux et doux,
Nous dit qu'un nouveau jour va se lever pour nous,
Comme au premier rayon dont le ciel s'illumine,
Sous le voile des nuits, le matin se devine.

Dernière mise à jour : ( 04-03-2008 )