Joseph Robinau de Villebon (Administrateur de 1691 à 1700)

 

ROBINAU DE VILLEBON, JOSEPH, officier, capitaine, gouverneur de l’Acadie. Fils de René Robinau de Bécancour et de Marie-Anne Leneuf de La Poterie. Né à Québec le 22 août 1655 et décédé le 5 juillet 1700 au fort Saint-Jean, en Acadie.

La personnalité de Robinau de Villebon domina la scène acadienne pendant une période d’une dizaine d’années (1690–1700), à l’époque de la guerre de la ligue d’Augsbourg. Pour mener à bien la politique de Versailles, il fallait un militaire en Acadie, un homme capable de tenir le poste avec très peu de secours. Le choix de Villebon semble avoir été heureux : natif du pays, il connaissait l’Acadie. De plus, il était passé en France dans sa jeunesse pour compléter son instruction et servir dans l’armée. Après avoir été officier dans un régiment de dragons, il avait été promu au grade de capitaine. Vers 1681, il était revenu en Nouvelle-France. Il semble avoir demeuré chez ses parents, au manoir de Portneuf, jusqu’en 1684 où il prit part à l’expédition de M. Le Febvre de La Barre contre les Iroquois. Robinau de Villebon a dû passer en Acadie tôt après cette campagne, soit vers 1685 ou 1686. Il y avait d’abord secondé les gouverneurs Perrot et Des Friches de Meneval et il était rentré en France pendant l’hiver de 1689. Ainsi donc, il était absent lorsque Phips attaqua Port-Royal (Annapolis Royal, N.-É.) au printemps de 1690. Villebon s'embarqua sur l’Union à La Rochelle, en même temps que l’ingénieur Vincent Saccardy. Il n’arriva en Acadie que le 14 juin 1690, après le départ de Phips qui avait emmené à Boston une cinquantaine de prisonniers, parmi lesquels se trouvait le gouverneur de Meneval. Ces circonstances avaient fait de Joseph Robinau le représentant officiel du roi de France en Acadie. Craignant que Phips ne revienne à Port-Royal, où le fort avait été détruit, Villebon alla fortifier Jemseg et y transporta provisoirement le siège du gouvernement français. Ce transfert n’avait pas été sans quelques difficultés, car des flibustiers anglais les avaient découverts; ils avaient emprisonné Saccardy et capturé le navire. Villebon avait pu échapper aux Anglais, mais ayant perdu toute sa cargaison, il avait décidé de se rendre par voie terrestre jusqu'à Québec pour demander du renfort au gouverneur de Frontenac [V. Buade]. Après un séjour à Québec et Montréal, il poursuivit son voyage en France.

Telle était l’expérience de Joseph Robinau lorsque le roi le nomma «commandant en Acadie» le 7 avril 1691, poste qu’il occupa jusqu’à sa mort. En lui confiant ce rôle, le roi lui avait donné des directives précises quant à la politique à suivre dans cette région. Ces instructions sont résumées comme suit dans un mémoire de Louis XIV à Frontenac : Villebon doit «proffiter de la bonne volonté des Canibats [Abénaquis, Indiens alliés des Français] pour le service de Sa Majesté, de leur haine pour les Anglais, et de la proximité des lieux de la Nouvelle-Angleterre pour les employer à faire une forte et continuelle guerre ausdits Anglais, et en mesme temps une diversion pour mettre le Canada à couvert de leurs entreprises». Pendant son séjour à Paris, Joseph Robinau avait peut-être contribué à la décision de Versailles de maintenir l’Acadie sous la domination française et à l’élaboration de cette stratégie. De toute façon, ayant le mémoire à l’adresse de Frontenac en main, apportant des vivres et des armes, il se rembarqua pour le Canada sur le Soleil d’Afrique commandé par le capitaine Denys de Bonaventure. Après un arrêt à Québec, le navire fit voile vers l’Acadie. Dans la baie Française (baie de Fundy), il rencontra un navire de Boston portant à son bord les marchands John Nelson, John Alden, William fils de ce dernier, ainsi que le colonel Edward Tyng. Bonaventure et Villebon réussirent à capturer le vaisseau. Par la suite, ils relâchèrent John Alden pour lui permettre de retourner en Nouvelle-Angleterre négocier un échange de prisonniers et ils gardèrent les autres captifs en otage. À Port-Royal, Joseph Robinau remplaça le drapeau anglais par celui de la France. Ne se sentant toutefois pas assez fort pour défendre la place contre une nouvelle attaque anglaise, il ne changea rien à l’administration qu’y avait établie Phips. Ce dernier avait chargé le sergent Charles La Tourasse du commandement de Port-Royal. Sachant qu’il défendrait les intérêts des habitants français, Villebon le laissa à son poste, puis alla s’établir à Jemseg.

Jusqu’à la fin de la guerre, Villebon essaya d’appliquer la politique royale en faisant sans cesse harceler la Nouvelle-Angleterre par les Indiens, auprès desquels il jouissait d’un grand prestige. Il fut secondé dans cette tâche par l’abbé Louis-Pierre Trury et, parfois, par Jean-Vincent d’Abbadie, baron de Saint-Castin. Phips, pour contrecarrer la politique française, reconstruisit vers 1692 le fort William Henry à Pemaquid et essaya de gagner les Abénaquis à la cause anglaise, sans pourtant y parvenir. Villebon, de son côté, se trouvant trop menacé à Jemseg, construisit en amont sur la rivière Saint-Jean, un autre fort auquel il donna le nom de Saint-Joseph qui devint rapidement connu sous le nom indien : Naxouat (Nashwaak). Ce fut l’époque de raids divers de part et d’autre. Le corsaire français Pierre Maisonnat, dit Baptiste, réussit à capturer quelques vaisseaux ennemis. Benjamin Church dévasta la région de Beaubassin (Chignecto Bay) entre autres, mais sa tentative de capturer Villebon demeura vaine. Le grand événement de cette période fut la prise du fort William Henry en 1696, avec le concours de Pierre Le Moyne d’Iberville.

En 1697, le traité de Ryswick apporta la paix. L’Acadie demeura française, mais le traité n’avait pas mis fin au litige des frontières. Une commission spéciale devait être nommée pour le régler. Les Français prétendaient que la frontière devait suivre le cours de la rivière Kennebec. Une des raisons invoquées pour justifier cette réclamation était que les Indiens alliés des Français habitaient la région située entre cette rivière et la Penobscot. Les Anglais étaient d’avis que la frontière devait se trouver sur la rivière Sainte-Croix. Il subsistait aussi un autre problème : celui des droits de pêche dans les eaux françaises. Villebon essaya de le régler en proposant l’établissement d’un système de permis dont les revenus serviraient à l’entretien des fortifications. Il semble que ce plan n’ait pas été exécuté, pas plus que celui de l’attaque de Manate (Manhattan) et de Boston que Villebon avait toujours vigoureusement soutenus. Le roi permit à Joseph Robinau de procéder à la reconstruction du fort Saint-Jean. Il entreprit cette tâche et transporta le siège de son gouvernement au fort Saint-Jean vers 1698 où il mourut le 5 juillet 1700. Le sieur de Dièreville, qui l’avait visité le jour de sa mort, décrivit Villebon comme étant un «grand homme, très bien fait et plein d’esprit».

La personnalité de Villebon est fort controversée, car il a souvent posé des gestes difficiles à replacer sous leur éclairage véritable. Pendant son séjour en Acadie, nombre de plaintes ont été portées contre lui. Dans son rapport intitulé Mon séjour de l’Acadie, M. de Gargas (principal écrivain de l’Acadie dans les années 1685–1688) lui reproche entre autres d’avoir intimidé et insulté les habitants et de leur avoir extorqué des sommes exorbitantes pour les marchandises. Gargas décrit Villebon comme la terreur du pays. En 1696, l’intendant Bochart de Champigny transmet au ministre d’autres plaintes contre Joseph Robinau : les seigneurs et les habitants de la rivière Saint-Jean, en particulier, accusent le gouverneur de «menaces et mauvais traittemens à leur égard et lui imputent de s’estre attiré toutte la traitte dans son fort». On reproche aux frères de Villebon qui servaient sous son commandement de l’aider dans cette besogne et de mener une vie scandaleuse. L’une des accusations les plus pittoresques est celle de Mathieu de Goutin, juge d’Acadie en 1698, qui, entre plusieurs griefs, affirme que le «Sieur de Villebon a faict consommer cent douze livres de poudre à canon au feu de joye pour la paix, en buvant les santez de ses maistresses, et que luy et le Sieur Martel son gendre s’y enyvrèrent». Pourtant, il semble bien que Villebon ne se soit jamais marié. D'autre part, Jean Martel de Magos avait épousé à Port-Royal une Marie-Anne Robinau qui passait pour la fille naturelle du gouverneur.

Villebon ne fit pas sourde oreille à ces plaintes. Il expliquait pour sa défense qu’elles provenaient souvent de la jalousie et qu’il était parfois obligé de rappeler à l’ordre des seigneurs qui, loin de la France, étaient devenus trop indépendants et avaient perdu le sens de la bonne conduite et du respect dû au gouvernement. Ces interventions étaient surtout provoquées par les agissements des frères Damours, seigneurs avec lesquels le gouverneur avait des frictions. L’un d’eux, Mathieu Damours de Freneuse, possédait un fief sur la rivière Saint-Jean entre Jemseg et Naxouat, centre d’activité de Robinau. Vers 1699, Villebon fit grief aux habitants de Port-Royal de se borner paresseusement à faire produire à leur terre juste assez pour leur survivance. Il y alla également de quelques reproches personnels. À tort ou à raison, il accusa le curé Jean Baudoin (lui-même ancien soldat) de courir les bois plutôt que de s’occuper de ses paroissiens et d’avoir assommé un Indien.

Ces échanges de plaintes et leur sujet nous font entrevoir une époque haute en couleurs dont la personnalité du rude et turbulent gouverneur est un fidèle reflet. Villebon a eu une vie fort mouvementée et, même lors de son décès, il n’a pu s’empêcher de provoquer un léger incident : l’abbé Abel Maudoux, avec lequel il s’était brouillé peu de temps avant de mourir, exigea qu’on lui payât d’abord ses honoraires avant d’accepter d’officier à ses funérailles. Claude-Sébastien de Villieu, lieutenant de Villebon, finit par céder aux instances du prêtre et paya afin que le gouverneur bénéficiât d’une sépulture chrétienne.

Quoi qu’on pense de Villebon, il faut tenir compte des circonstances dans lesquelles il était appelé à agir : la guerre, le peu de secours que lui offrait la France et le manque d’habitants (l’Acadie comptait, d’après le recensement de l’intendant de Meulles en 1686, 885 personnes; en 1693, le nombre total aurait été de 1009). C’est principalement pour ses talents militaires et son savoir-faire avec les Indiens, pensons-nous, que le gouvernement français l’a maintenu à son poste et que Meneval et surtout Frontenac l’ont toujours soutenu et défendu.

En collaboration avec Émery LeBlanc


Source :
Une collection de papiers Villebon a été publiée et traduite dans Webster, Acadia.

AN, Col., B, 16, 17, 19, 20, 22 ; C11A, 12–14 ; C11D, 2, 4.— BM, Lansdowne MS 849, f.47.— « Mass. Archives. »— Acadiensia Nova (Morse), I : 165–199, contient Mon séjour de l’Acadie, de Gargas, et autres documents.— Coll. de manuscrits relatifs à la Nouv.-France.— Correspondance de Frontenac (1689–99), RAPQ 1927–28 et 1928–29.— Dièreville, Relation du voyage du Port Royal de l’Acadie ou de la Nouvelle-France, éd. bilingue de J. C. Webster (Champlain Soc., XX, 1933),287.— Jug. et délib., IV : 327.— Mémoires des commissaires, II : 333s ; Memorials of the English and French commissaries, I : 30s., 123, 620s.— NYCD (O’Callaghan and Fernow), IX.— RAC, 1912, App. F.— Azarie Couillard-Després, Les Gouverneurs de l’Acadie sous le Régime français, 1600–1700, MSRC, XXXIII (1939), sect. i : 273–280.— Ganong, Historic sites in New Brunswick, 273.— P.-G. Roy, Les Robineau, Cahiers des Dix, XVII (1952) : 209–213.
© 2000 Université Laval/University of Toronto

Source document : (corrigé de l'original)
Dictionnaire biographique du Canada en ligne, Bibliothèque nationale du Canada et archives nationales du Canada


Dernière mise à jour : ( 22-02-2009 )