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L'histoire acadienne, au bout des doigts

Mathieu De Goutin Version imprimable

GOUTIN, MATHIEU DE (parfois orthographié Degoutin, Degoutins, Desgoutins, mais il signait De Goutin), conseiller du roi, lieutenant général de la justice en Acadie, écrivain du roi en Acadie et à l’île Royale (île du Cap-Breton) ; né en France, vraisemblablement entre 1660 et 1670, et décédé à l’île Royale, le 25 décembre 1714.

Nous savons peu de chose de Goutin antérieurement à sa venue en Acadie. Il a dit avoir participé à cinq campagnes dans le régiment de la Couronne, sans doute à titre de commis au commissariat. C’est l’influence du marquis de Chevry, un des directeurs de la Compagnie de la pêche sédentaire de l’Acadie, qui lui valut sa nomination en Acadie, Goutin avait été à un moment donné le secrétaire du père du marquis.

Mathieu de Goutin vint en Acadie en 1688 et ne tarda pas à y prendre femme : selon les paroles mêmes du gouverneur, Louis-Alexandre Des Friches de Meneval, il se maria « sottement à la fille d’un paysan », c’est-à-dire à Marie-Jeanne Tibaudeau, fille de Pierre Tibaudeau et de Jeanne Terriot. De ce mariage naquirent François-Marie*, Abraham (ou Alexandre), Anne, Mathieu, Marguerite, Jacques, Marie-Joseph, Antoine, Joseph, Jeanne, Magdelaine et Louise.

Dès son arrivée à Port-Royal, Mathieu de Goutin constata qu’il allait être le plus occupé des fonctionnaires de la colonie. À titre de lieutenant général, il entendait toutes les causes, tant civiles que criminelles, de même que celles qui relevaient de l’ordre public, de la navigation et du commerce. En qualité d’écrivain du roi, il était subdélégué de l’intendant de la Nouvelle-France. La gestion des comptes de la couronne, le contrôle des munitions et de l’approvisionnement, et l’inspection des travaux de la couronne relevaient de sa charge. À cause d’un tel cumul de fonctions, il était inévitable que la façon dont il s’acquittait de ses devoirs fût la source de nombre de querelles auxquelles il fut mêlé. Dès 1689, Meneval écrivait au ministre que Goutin était « un mauvais sujet et indigne, [...] fort entêté de sa capacité [...] persuadé que les deux charges dont il est revêtu le mettrait icy dans un rang et une authorité sinon supérieure du moins égale à celle du gouverneur ». Meneval l’accusa plus particulièrement de tenter d’inciter la garnison, les habitants et les Indiens à la désobéissance et au mépris de l’autorité non seulement du gouverneur, mais aussi du clergé. À ce sujet, Meneval a écrit dans un rapport que Mathieu de Goutin et ses amis « avilissent leurs personnes et leurs caractères au grand mépris de la religion ». Goutin contre-attaqua en accusant Meneval de s’ingérer dans ses charges « [faisant] tout sans men rien communiquer » et en donnant ordre aux habitants « de ne me reconnoistre pas pour leur juge ». Il alla jusqu’à accuser le clergé de trafiquer illégalement et de « gêner les consciences » des habitants.

Toutes ces querelles décidèrent le ministre à rappeler Mathieu de Goutin en France. Mais dans l’intervalle, en mai 1690, Sir William Phips* s’était emparé de Port-Royal. Fait prisonnier, puis relâché, Goutin se rendit d’abord à la rivière Saint-Jean puis au Canada. Dès l’année suivante il était de retour à Port-Royal pour ensuite rentrer en France, probablement en 1692. Pendant son séjour en France, en 1692 et 1693, il s’est vraisemblablement employé à regagner la faveur des autorités et en février 1693, fort de recommandations attestant sa « capacité, valeur et affection au service », il reçut l’ordre de retourner en Acadie. Il semble que ses rapports avec Joseph Robinau* de Villebon, successeur de Meneval, aient été sans histoire pendant plusieurs années. On lui avait alors confirmé la propriété de deux terres en friche, une sur la rivière Mouscoudabouet (Musquodiboit), concédée en 1692, l’autre à La Point-aux-Chesnes, sur la rivière Saint-Jean, concédée en 1696. Rien n’indique qu’il ait entrepris la mise en valeur de son bien. Le 27 mars 1696, on lui accorda un congé pour rentrer en France, y régler des affaires de famille. Avant de s’embarquer, il prit part, en août, à l’attaque du fort anglais de Pemaquid par Pierre Le Moyne d’Iberville et fit parvenir au ministre une relation de cette expédition. Pendant son séjour en France, il passa cinq semaines au département de la Marine. Il retourna en Acadie en 1697, débarquant le 10 août au fort Naxouat (Nashwaak). Dès lors, pour des raisons indéterminées, ses relations avec Villebon commencèrent à se gâter, comme en témoignent les dépêches dans lesquelles il fait longuement état de l’inconduite, présumée, de son supérieur. Il eut aussi des démêlés avec Claude-Sébastien de Villieu qu’il accusa de vendre, à son profit, les vivres destinés aux soldats de sa compagnie. La liaison de Simon-Pierre Denys de Bonaventure avec Mme de Freneuse [Louise Guyon* ] fut aussi l’occasion de querelles avec celui-ci.

La question de savoir si Mathieu de Goutin était à la hauteur de sa charge se posa de nouveau pendant l’administration du gouverneur Jacques-François de Brouillan [Monbeton]. Bien que la première impression du nouveau gouverneur ait été favorable, il ne tarda pas à faire rapport que Goutin n’était « guerre en estat de juger valablement [...] parce que le tiers des habitants se trouvaient parens de sa femme ». Goutin accepta de laisser au procureur du roi le soin de juger les cas qui impliquaient des parents de sa femme. Brouillan prétendit qu’à cause du nombre et de l’étendue de ses fonctions, Goutin avait « de la peine à bien remplir un seul de ses emplois ». En fait, Goutin lui-même se plaignait de n’avoir « aucune heure reglée pour boire ny manger, je suis plus occupé les festes et dimanches quelles jours ouvriers, les habitants prennent ses jours-là pour faire leurs affaires en venant à la messe ». La plus sérieuse accusation de Brouillan à l’endroit de Mathieu de Goutin portait sur la cabale que celui-ci aurait menée auprès des officiers dans le but de miner l’autorité du gouverneur. À cela Goutin répliqua, avec un certain humour, que ce que le gouverneur appelait une cabale n’était rien de plus que « trois ou quatre amis, honnêtes gens, liés d’amitié pour le plaisir de la société [...] qualifié de cabalistes pour n’avoir pas fleschy devant la beste ».

Par contre les rapports de Goutin avec le gouverneur Auger de Subercase furent étonnamment cordiaux. Le ministre avait servi à Goutin un avertissement clair et net « si vous lui donniez occasion de se plaindre […] vous ne pourriez pas rester en ce pays ». Il semble que l’avertissement ait porté car, en 1707, Subercase informe le ministre que Goutin « remplit dignement les fonctions de son employ ». Le ministre, de son côté, semble manifester plus de confiance envers Goutin puisqu’en 1708 et de nouveau en 1710 il lui donne ordre, en termes non équivoques, de lui faire rapport sur tout ce qui semblerait contraire aux intérêts du roi, y compris la conduite de Subercase.

À la suite de la reddition de Port-Royal aux mains de Francis Nicholson (1710), Goutin rentra en France avec sa famille en 1711. En 1714, il était nommé écrivain du roi à l’île Royale. Après sa mort, survenue le jour de Noël 1714, sa femme et ses enfants demeurèrent à l’île Royale où ils reçurent pendant un certain temps des « rations » de la couronne. L’aîné des fils, François-Marie, fit, comme son père, partie de l’administration publique de l’île Royale ; au moins cinq des filles épousèrent des officiers, quatre à l’île Royale même.

On a toujours décrit Mathieu de Goutin, plus ou moins injustement, comme « un brandon de discorde, sans scrupules ». Incontestablement arrogant et vaniteux, il n’en a pas moins été, semble-t-il, un fonctionnaire compétent. En vérité, ses supérieurs n’ont cessé de le reconnaître tout au long de ses 22 ans de service. Il était alors du devoir d’un fonctionnaire efficace de freiner le pouvoir quasi absolu du gouverneur. C’est sans doute pour cette raison, tout autant qu’à cause de ses liens avec les habitants, que Mathieu de Goutin a joui de la confiance des paysans acadiens à qui l’inflexibilité de l’administration coloniale inspirait depuis longtemps une aversion profonde.

Bernard Pothier



Source
AN, Col., B, 15–17, 19, 20, 22, 23, 25, 27, 29, 32, 35, 39 ; Col., C11B, 1, 2, 13 ; Col., C11C, 2, 7, 16 ; Col., C11D, 2–7 ; Col., E, 209 ; Section Outre-Mer, G1, 406 ; G3, 2 037, 2 040, 2 047, 2 056, 2 058.— Charlevoix, Histoire de la N.-F., II : 111.— Coll. de manuscrits relatifs à la N.-F., II : 224, 466, 480, 492.— Extrait de la relation faitte par Mr de Gouttin de la prisse du fort de Pimiquid, RAC, 1912, append. F.— Le Jeune, Dictionnaire, I : 503s.— Bernard, Le drame acadien, 179–183, 189n., 196.— Casgrain, Les Sulpiciens en Acadie, 120–123.— Parkman, A half-century of conflict (1892), I.— Webster, Acadia, 6, 9, 174–177.— Pierre Daviault, Mme de Freneuse et M. de Bonaventure, MSRC, 3e sér., XXXV (1941), sect. i : 37–56.— É.-Z. Massicotte, Mathieu De Goutin, lieutenant civil et criminel de l’Acadie, BRH, LI (1945) : 221 s.
© 2000 University of Toronto/Université Laval
Source document :
Dictionnaire biographique du Canada en ligne, Bibliothèque nationale du Canada et archives nationales du Canada  


Dernière mise à jour : ( 22-02-2009 )
 
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