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L'histoire acadienne, au bout des doigts

Occupation du territoire par les Acadiens Version imprimable

 

Le traité de Bréda, signé entre la France et l'Angleterre en 1667, signalait le retour de l'Acadie au sein des possessions françaises. Thomas Temple, l'administrateur anglais de l'Acadie durant la période, posa toutes sortes de difficultés avant de remettre le territoire aux Français de telle sorte que ce ne fut qu'en 1670 que le nouveau gouverneur français, Grandfontaine put prendre possession du territoire.

Une tâche immense attendait Grandfontaine en Acadie. Accompagné de quelque 30 soldats et d'environ 60 colons, il devait restaurer l'autorité française auprès des 400 habitants du territoire acadien. Le nouveau gouverneur, installé à Pentagouet près de la rivière du même nom, invita la population acadienne, habituée depuis plusieurs années à vivre d'une façon indépendante, à se soumettre aux lois et directives françaises. Il devait également empêcher les Anglais des colonies américaines de continuer leurs activités habituelles de commerce et de pêche en territoire acadien.

La France voulait contrôler d'une façon effective le territoire acadien, mais il semble que ces deux objectifs essentiels ne furent pas atteints par Grandfontaine et ses successeurs. Cela vint du fait que l'Acadie était une colonie marginale dans le contexte colonial de l'Amérique du Nord. Situé entre deux colonies rivales (la Nouvelle-France au nord et la Nouvelle-Angleterre au sud), le territoire de la Baie française fut contesté à diverses reprises et fut la scène de nombreux engagements militaires. Les successeurs du gouverneur Grandfontaine, messieurs Marson, Chambly et La Vallière firent face à des problèmes administratifs et militaires qui démontrèrent la faiblesse de la colonie acadienne qui ne recevait presque pas d'aide de la métropole française.


La faiblesse des moyens à la disposition des administrateurs coloniaux se traduisit par l'application d'une politique de laisser-faire dans le domaine des pêcheries et de la traite des fourrures. Comme le gouverneur de la colonie n'avait pas de navires-garde-côte pour réserver la pêche le long des côtes acadiennes aux seuls naturels français, les pêcheurs anglais de Boston et Salem continuèrent leurs opérations comme si rien n'avait changé. Il en fut de même pour les marchands bostonnais tels que John Nelson et John Allen qui poursuivirent leurs échanges de rhum, de tissus et d'objets manufacturés contre les fourrures et les céréales acadiennes. La pénétration économique et commerciale du Massachusetts en Acadie fut une constante durant toute la période de 1670 à 1710 et témoigne de la puissance de la colonie anglaise du sud qui considérait le territoire de la Baie Française comme une sphère d'intérêt anglaise.

L'attaque de l'officier de marine hollandais Julian Aernoutz contre Pentagouet, siège militaire de l'Acadie, fit ressortir la faiblesse de la colonie. Le gouverneur Chambly dut rendre la fortification après deux heures de combat tandis que son lieutenant, retranché à Jemseg fut, lui aussi, fait prisonnier par la suite. Comme c'était toujours le cas, Aernoutz se livra à un pillage des différents établissements acadiens avant d'abandonner le territoire. Cette attaque impromptue sur l'Acadie et l'impuissance des autorités françaises à la repousser servirent à rappeler à la population que la France n'avait pas réussi à assurer leur sécurité.


Étant donné cette situation, il ne faut donc pas s'étonner de voir la population acadienne agir suivant ses propres intérêts, même si ceux-ci allaient à l'encontre des objectifs visés par la métropole française. Les nombreuses critiques des dirigeants français concernant l'entêtement des Acadiens ou leur indépendance illustrent bien la marge qui existait entre l'idéal de colonisation que l'on voulait atteindre et les réalisations qui s'ébauchaient en Amérique.

Les Acadiens, installés en Amérique depuis plus de 50 ans, avaient aménagé le territoire d'une manière originale et unique en Amérique du Nord. Plutôt que de défricher les terres hautes pour les cultiver par la suite, ils préféraient cultiver les terres d'alluvions près de la mer. La Baie française (baie de Fundy) étant une région de très fortes marées, les Acadiens durent se servir de leur expérience et de leur savoir-faire pour développer un système de protection contre la mer. À partir de l'expérience des marais salants qu'ils avaient connus en France, ils construisirent un système de digues qui avaient pour but de permettre l'écoulement de l'excédent d'eau douce vers la mer et d'empêcher celle-ci d'envahir les terres d'alluvions deux fois par jour, lors des marées hautes.


Grâce à un petit canal de bois, appelé aboiteau, situé à la base de la levée de terre, l'excédent d'eau douce de l'arrière-pays pouvait s'écouler vers la mer. L'aboiteau, fermé du côté de la mer par une porte basculante, appelée clapet, empêchait l'eau salée d'inonder les terres d'alluvions sur lesquelles on cultivait du blé, de l'avoine et où le bétail paissait. Cette méthode de culture permettait aux Acadiens de mettre en culture rapidement et sans trop de travail des terres agricoles très fertiles qui donnaient des rendements supérieurs. Comme ils travaillaient moins que les agriculteurs de la Nouvelle-France et de la Nouvelle-Angleterre à la même époque, plusieurs accusaient les Acadiens de paresse alors qu'ils avaient tout simplement utilisé d'une façon ingénieuse et originale le relief et les possibilités du milieu. Ce n'est pas sans raison qu'on les a surnommés "les défricheurs d'eau".

C'est le long de la rivière Dauphin à Port-Royal que l'expérience des aboiteaux débuta. Chaque famille avait un terrain qui donnait sur la rivière. Des deux côtés de la rivière, on retrouvait une longue filée d'habitations. Une fois tous les espaces remplis, les habitants s'installaient le long d'une autre rivière où ils répétaient le même style d'occupation des terres.

A partir des années 1670, avec la croissance de la population de Port-Royal on assista à une émigration vers d'autres régions de la Baie Française. Les nouveaux arrivants cherchaient un relief et un habitat semblable à celui qu'ils quittaient. Vers 1674, on note l'établissement de quelques Acadiens à Beaubassin au fond de la Baie Française. Au milieu des années 1680, le village Les Mines fut fondé. Chacun de ces nouveaux établissements perpétuait le type d'occupation des terres précédemment en usage.

Cette extension du peuplement le long de la Baie Française, à partir du Port-Royal, fut causée en partie par l'état d'insécurité de la population dont le village subissait les attaques incessantes des Anglais. S'établir ailleurs, c'était rechercher la tranquillité et des espaces nouveaux à cultiver.

Le désintéressement de la France, manifesté par le peu d'encouragement donné au peuplement et à la défense de la colonie, se perpétua durant toute la fin du 17e siècle. Avec la mort du commandant Marson en juillet 1678, l'Acadie se trouvait sans chef. Le gouverneur de la Nouvelle-France, Frontenac, désireux d'étendre son influence jusqu'en Acadie, y nomma de son propre chef La Vallière comme commandant. Même si ce dernier ne fut jamais accepté par le roi, son arrivée et son installation en Acadie eurent plusieurs conséquences heureuses.

La Vallière, natif de la Nouvelle-France, amena avec lui en plus de sa famille quelques habitants de la vallée laurentienne qui firent souche en Acadie d'une façon permanente. Une des raisons du refus du gouvernement métropolitain d'accepter la nomination de La Vallière par Frontenac fut la pratique qu'il avait de vendre des permis de pêche aux Anglais. Il est fort probable qu'il tentait de maintenir de cette façon un semblant d'autorité française sur les côtes acadiennes tout en s'enrichissant. Que La Vallière vende des permis de pêche aux Anglais n'était pas nouveau; la pratique existait depuis l'arrivée du gouverneur Grandfontaine.

 



Source:
Petit manuel d'histoire d'Acadie de 1670 à 1755, La librairie Acadienne de l'Université de Moncton, Jean Daigle, 1976


Dernière mise à jour : ( 28-07-2008 )
 
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