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L'histoire acadienne, au bout des doigts

Le conflit La Tour-d'Aulnay (1637-1650) Version imprimable

 

Dès 1636, on vit Charles d'Aulnay à Port-Royal et Pentagoët, s'occuper un peu d'agriculture, mais surtout de pelleteries. Charles de La Tour, à la rivière Saint-Jean et probablement au Cap Sable, se livrait surtout à la traite, tandis que Nicolas Denys, qui était resté dans la région de La Hève avec quelques colons, s'adonnait au commerce de la pêche, de la fourrure et du bois. Déjà au cours de l'année qui suivit, prenait naissance le conflit entre La Tour et d'Aulnay qui devait ralentir le progrès en Acadie pour au moins une dizaine d'années. On ne sait au juste quelle en fut la cause, mais un document anonyme sollicité par la cour daté du 10 janvier 1638 et adressé à d'Aulnay, nous ferait croire que le litige eût pour origine la question des limites du champ d'action de l'un et de l'autre, probablement pour ce qui était de la traite. Le roi disait à d'Aulnay qu'il voulait qu'il y ait bonne intelligence entre lui et Charles de La Tour, sans que les limites de leur gouvernement respectif puissent être sujet à controverse, ce pourquoi il nommait d'Aulnay lieutenant général du territoire partant du milieu de la terre ferme de la baie Française et allant vers les Virginies, tandis que La Tour était nommé lieutenant général du territoire s'étendant depuis le milieu de la même baie jusqu'au détroit de Canseau. D'Aulnay ne pouvait pas s'immiscer dans les affaires de l'habitation de la rivière Saint-Jean, et de même La Tour ne pouvait pas toucher aux habitations de La Hève et de Port-Royal. Cet arrangement n'était pas de nature à régler la question en litige et démontre l'ignorance de la géographie de l'Acadie par les Français qui l'ont promulgué.Territoire LaTour / d'Aulnay / Denys








Charles d'Aulnay
avait un précieux soutien à la cour dans la personne de son père, René de Menou, qui était conseiller d'État. Insatisfait du partage entre les deux gouverneurs et se disant molesté par La Tour, Charles d'Aulnay envoya à son père présenter une liste d'accusations à la cour contre son adversaire. Cette requête évoquait un contact que ce dernier aurait eu avec les Français de La Hève pour y semer la division, ainsi qu'une attaque contre lui à la sortie de Port-Royal quand d'Aulnay fit prisonniers La Tour et sa nouvelle épouse, Françoise-Marie Jacquelin, vers la fin du printemps ou au début de l'été 1640. Le 13 février 1641, le roi écrivit à d'Aulnay qu'un ordre exprès avait été donné à La Tour de s'embarquer pour venir le rencontrer, et qu'en cas de refus, d'Aulnay devait se saisir de sa personne et mettre ses forts entre les mains de personnes fidèles au service du roi. Charles de La Tour qui, en plus, se voyait dépouillé de sa commission de gouverneur, ne s'embarqua pas pour la France sous prétexte d'indisposition. Quand d'Aulnay s'y rendit à l'automne de cette même année (1641), c'est après son arrivée que fut émis, en date du 21 février 1642, un arrêt du Conseil d'après lequel il était ordonné que La Tour soit pris au corps que ses forts soient saisis par d'Aulnay et mis sous la garde de personnes fidèles au service du roi.


Charles d'Aulnay dut rester en France jusqu'en septembre (1642), quand le 25 il s'embarqua à La Rochelle à bord du vaisseau La-Vierge. Arrivé au Cap Sable, il s'y arrêta pour mettre le feu au fort Saint-Louis et le détruire de fond en comble, ainsi que le monastère et la chapelle qui appartenaient aux Récollets. Puis le 15 décembre, il débarquait à Port-Royal.

N'ayant pas trouvé Charles de La Tour au Cap Sable, d'Aulnay dressa un blocus devant le fort Sainte-Marie de la rivière Saint-Jean, où il arriva le 20 mars 1643, pour y rester presque cinq mois. La Tour avait encore des amis en France avec qui il devait se tenir en contact. Le fait est que le 8 avril 1643, son agent, Guillaume Desjardins, équipait «en guerre» le Saint-Clément et cela avec l'autorisation du grand prieur et vice-amiral de France qui alors était le marquis de Brézé, neveu de Richelieu, afin de venir trouver La Tour à la rivière Saint-Jean. Parti de La Rochelle le 15 avril avec à son bord 140 personnes, ayant pour capitaine Étienne de Mourron, il arriva à la rivière Saint-Jean le 20 mai, sans pouvoir rompre le blocus. Charles de La Tour, qui était dans son fort, réussit à monter à bord et dirigea le vaisseau vers Boston où il obtint l'aide qu'il voulait; en effet, le soir du 24 juillet trente soldats de Boston s'embarquèrent sur quatre navires et une pinasse pour accompagner le Saint-Clément jusqu'à la rivière Saint-Jean. Charles d'Aulnay fut alors poursuivi jusqu'à Port-Royal sans être molesté davantage; La Tour avait atteint le but recherché.

Charles d'Aulnay n'allait pas subir une telle humiliation sans vouloir se venger. Tandis que pour plaider la cause de son mari, Madame de La Tour partait pour la France, sûrement sur le Saint-Clément, et arriva à La Rochelle vers le milieu d'octobre 1643. D'Aulnay s'embarquait également pour la France où il arriva vers la fin de cette même année ou au commencement de la suivante. Ayant fait obstacle aux démarches de Madame de La Tour, il repartit pour l'Acadie au cours de la deuxième moitié de juillet 1644 pour s'arrêter au large du Cap Sable, en attendant Madame de la Tour qui devait passer incessamment par là avec sa suite à bord d'un vaisseau anglais. Mais elle échappa à la vigilance de d'Aulnay, grâce à la ruse du capitaine du vaisseau qui la conduisait. Elle arriva à la rivière Saint-Jean vers le début de 1645.

Deux ou trois mois après son retour, son mari dut se rendre à Boston avec sept de ses hommes. C'est alors que Charles d'Aulnay, sachant que La Tour était absent, vint attaquer le fort Sainte-Marie. Madame de La Tour en prit la défense. Après un combat de trois jours et trois nuits, elle fut trahie le quatrième jour par un Suisse qui montait la garde. Elle dût céder ce jour-là, qui était le jour de Pâques (16 avril 1645), après que d'Aulnay eut promis qu'il donnerait quartier à tous les défenseurs. Celui-ci, à peine entré dans le fort, ordonna au contraire que tous les soldats présents soient pendus, à l'exception de celui qui voudrait se charger de l'exécution. Furent épargnés les Pères Récollets, le traître, l'exécuteur, un tout jeune fils de La Tour et les deux femmes de chambre de Madame de La Tour. Quant à celle-ci, elle fut forcée d'assister à cet acte de cruauté la corde au cou; elle mourut 3 semaines plus tard de chagrin et d'angoisse. L'inhumation des pauvres malheureux eut lieu le mardi 18 avril, sûrement dans une même fosse.

Charles de La Tour, qui était à Boston, n'apprit la nouvelle de ce carnage que trois semaines plus tard. Il avait tout perdu, famille, Acadie, patrie. N'osant plus demander aux Bostonnais de le secourir, il s'embarqua vers la fin du printemps 1645 pour Terre-Neuve afin de tenter sa chance auprès du gouverneur qui n'était autre que David Kirke, de qui il ne devait recevoir que de belles promesses. Revenu à Boston, il passa l'hiver à l'île Noddles, chez son ami Samuel Maverick propriétaire de l'île (aujourd'hui East Boston) et vers la fin de l'hiver 1646, il s'embarqua pour Québec. Après avoir passé quelque temps à faire la traite dans la baie d'Hudson, il débarqua à Québec le 9 août, où il fut reçu en triomphe: on tira du canon à son arrivée, on le logea au château Saint Louis et le gouverneur lui céda la préséance. Il devint l'ami et le protégé des Pères Jésuites.

Durant ce temps, d'Aulnay, dans la possession paisible de toute la baie Française, à partir du Cap Sable jusqu'à Pentagoët, mettait son monde à l'oeuvre pour développer la culture à Port-Royal et poursuivre son trafic des pelleteries sur les côtes de son vaste territoire. Mais il ne put pas jouir longtemps de sa victoire. Le 24 mai 1650, il se noya dans le bassin de Port-Royal quand son canot chavira, son valet qui l'accompagnait dit qu'il mourut d'épuisement.

Lorsque la nouvelle de cette tragédie arriva à Québec, Charles de La Tour, sans doute sur l'avis du gouverneur et des jésuites, décida de passer en France pour se disculper des accusations portées contre lui par d'Aulnay une dizaine d'années plus tôt. Il partit de Québec avant le premier septembre 1650. Non seulement la cour dut reconnaître la fausseté des accusations portées contre lui, mais en date du 25 février 1651, le roi le confirma «en tant que besoin est» son gouverneur et lieutenant général en Acadie. Il repartit pour l'Acadie à l'été de cette même année (1651). Le 23 septembre il arrivait à Port-Royal, ayant amené avec lui, Philippe Mius d'Entremont en tant que son major général, sa femme et une fille de deux ans.



Source:
Petit manuel d'histoire d'Acadie - Des débuts à 1670, La Librairie Acadienne, Université de Moncton, Rev. Clarence-J. d'Entremont,1976


Dernière mise à jour : ( 15-02-2009 )
 
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