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L'histoire acadienne, au bout des doigts

La bataille de Ristigouche Version imprimable

Au printemps de 1760, la Nouvelle-France est en mauvaise posture. Québec vit sous le drapeau anglais depuis bientôt un an et Montréal résiste difficilement. Pourtant, les administrateurs, Vaudreuil en tête, espèrent toujours une aide de la métropole. Cette dernière se décide enfin à envoyer des secours: une floue apportera à la colonie en détresse des hommes, des munitions et des vivres. Comme c'est souvent le cas, on équipe des bateaux privés qu'on charge de soldats rapatriés de Louisbourg et de Québec. Mais des problèmes surgissent et la petite flotte ne quitte finalement La Gironde que le 10 avril.

L'escadre compte cinq vaisseaux marchands et une vingtaine de petits bâtiments charges de munitions et de 1000 fusils, de 6000 quintaux de farine, de 4000 quintaux de lard salé ainsi que de 400 quintaux de graisse. En outre, les bâtiments transportent à leur bord des bas, gilets et souliers pour les soldats ainsi que des étoffes, toiles et autres objets pour échanger aux Amérindiens. C'est le Machault qui est le navire convoyeur avec ses 28 canons et ses 150 hommes d'équipage. Le commandant de l'expédition est l'amiral François Chenard de la Giraudais qui a reçu des instructions secrètes au cas où il s'avérerait absolument impossible de s’engager dans le fleuve Saint-Laurent. II devrait alors en aviser le gouverneur Vaudreuil et se rendre en Louisiane ou à Saint-Domingue pour y décharger ses vaisseaux.

Le MachaultÀ peine éloignée des côtes françaises, la flotte est attaquée par une frégate anglaise. Trois navires sont pris. De tonnage important, il ne reste que le Machault, le Marquis de Malauze et le Bienfaisant. Seulement 200 hommes de troupe atteindront donc le golfe le 14 mai 1760. Chenard de la Giraudais s'empare alors d'un navire marchand ennemi. Des papiers trouvés dans la cabine du capitaine lui apprennent qu'une flotte anglaise l’a précédé de six jours dans le Saint-Laurent. Selon les ordres, l'amiral doit alors voguer vers les Indes occidentales ou la Louisiane. II décide plutôt de se réfugier dans la baie des Chaleurs, probablement influencée par des soldats, anciens de Louisbourg, qui connaissent bien la région et qui lui font valoir que les Anglais ne viendront pas les chercher dans le fond de la baie. De plus, une partie de la viande étant avariée, le manque de nourriture l'incite à se réfugier le moires loin possible. Le 17, les Français prennent deux autres navires ennemis près de Miguasha. Le 18, la petite flotte s'engage dans la rivière Ristigouche. Auparavant, Chenard de la Giraudais a débarqué l'officier Denis de Saint-Simon qui doit se rendre à Montréal pour porter les dépêches royales à Vaudreuil et prendre les ordres. Six jours plus tard, deux autres messagers partent avec des duplicates et des triplicatas: l’amiral veut être sûr que les nouvelles parviendront à Montréal.

Le 19 mai, les 200 soldats et les équipages des trois navires débarquent à dix-huit milles du rapide de Ristigouche. Cet endroit est devenu depuis quelque temps le point de ralliement des réfugiés acadiens qui fuient les persécutions anglaises. Au nombre de 1500, ils ont pour guide les récollets Ambroise et Étienne qui ont aussi la charge du village micmac de 250 personnels, plus haut sur la rivière. La misère est extrême. Pour alléger ses bâtiments en vue d'une remontée de la rivière, Chenard de la Giraudais distribue aux émigrés une partie de sa cargaison. De son côté, le capitaine François-Gabriel d'Angeac, responsable des hommes de troupe, témoigne:

« J'ai trouvé dans ce séjour de misère plus de 1500 âmes exténuées d’inanition et mourant de faim, ayant été obligées de manger des peaux de castor tout l’hiver. Je leur fais donner une demi-livre de farine par jour et un quart de livre de boeuf … Ce petit secours les a tirées des portes de la mort. »

Les Français moments leur camp entre la Pointe-à-la-Batterie et la Pointe-à-la-Garde. À ce dernier endroit, ils érigent une batterie. Puis, se croyant en sûreté, ils restent oisifs en attendant le retour des messagers. Le 12 juin, Chenard de la Giraudais envoie le sieur Lavary Le Roy en reconnaissance sur une goélette. Jusqu'au 22, ce dernier ne rencontre que des bateaux et esquifs acadiens qui rejoignent Ristigouche avec à leur bord de nombreuses familles démunies. Mais ce jour-là, c'est un vaisseau de la marine royale britannique que Lavary Le Roy aperçoit dans la direction de l’île aux Hérons. L'Anglais de son côté s'est aussi rendu compte de la présence de la petite goélette qu'il prend en chasse avec quatre barques. Le Roy échoue sa goélette et regagne la Pointe-à-la-Batterie par les Bois.

Le 9 juin, un détachement anglais avait appris par le chef micmac de Richibouctou la présence de plusieurs vaisseaux français sur la rivière Ristigouche. Le gouverneur Whitmore dépêcha de Louisbourg le commodore Byron, surnommé Jack-la-Tempête, à la tête de trois navires de premier rang, le Fame (70 canons), le Dorsetshire (70 canons), l'Achille (60 canons), de deux frégates et de quatre goélettes. Partie de Louisbourg le 18, la flotte mit de cinq à sept jours pour atteindre l'estuaire de la Ristigouche, le mauvais temps ayant dispersé les cinq navires.

Le 23, quand Lavary Le Roy apprend à Chenard de la Giraudais I'arrivée de l'ennemi, l'amiral fait mettre sur la batterie (Pointe-à-la-Garde) quatre canons et ordonne que tous les bateaux remontent la rivière le plus haut possible même s'ils doivent pour cela être déchargés de leurs vivres et autres effets. Pendant ce temps, la Fame, navire amiral anglais, s'échoue à trois lieues de l’endroit où sont mouillés les Français (Pointe-à-la-Garde). Apparemment, ceux-ci sont tentés à ce moment-là de le prendre d'abordage, mais ils se ravisent. Les Anglais réussissent finalement à renflouer le Fame qui mettra trois jours à franchir les neuf milles qui le séparent de la première batterie. Les deux frégates, l'Achille et le Dorsetshire restent quatre ou cinq lieues plus bas.

Le 26 on le 27, la batterie est prête. D'Angeac y place 60 soldats, 100 Acadiens et quelques Indiens sous le commandement du capitaine de la Vallière. Auparavant, pour bloquer le passage à l'ennemi, il a eu l'idée de couler dans le canal les barques et les petits bateaux anglais qu'il avait fait prisonniers. Mais le 27, le Fame, les deux frégates et une goélette réussissent à traverser ce barrage. On se bombarde jusqu'à la tombée de la nuit alors que Byron retire ses vaisseaux dans le chenal du sud. Chenard de la Giraudais remonte encore, sachant qu'avec ses 850 hommes, dont 200 à 300 civils acadiens, il ne peut pas grand-chose contre les 1700 hommes d'équipage de Byron.

Le 3 juillet, le Fame prend la batterie à revers et force ses défenseurs à se retirer. Le 6, les Anglais débloquent le canal et, après les avoir allégées, réussissent avec deux frégates à s'approcher de la flotte française. Cependant, ils doivent soutenir le feu des deux nouvelles batteries érigées par Chenard de la Giraudais de chaque côté du canal sur les sites futurs de Campbellton et de Pointe-à-la-Croix. De plus, pour maintenir les vaisseaux anglais à distance, l'amiral français a fait couler un second barrage de bâtiments en dehors de la batterie du nord, à demi-portée de canon de cette dernière. Les Français se défendent bien et l'ennemi doit se retirer plusieurs fois sous leur feu constant. Mais le 7, la défense de la batterie du sud s'effondre.

Dès quatre heures du matin, le 9 juillet, le Scarborough et le Repulse s'approchent des navires français et de la batterie du nord. Vers 5 heures, le combat commence. Pendant deux heures, le feu est très vif. Mais de 7 heures à 9 heures, le Machault canonne irrégulièrement. Quant à la batterie du nord, elle ne fait feu que chaque quart d'heure. Le Bienfaisant et le Marquis de Malauze ne prennent aucune part à l'action, leur équipement avant servi à armer les batteries. Sur le dernier, d'Angeac a envoyé 62 prisonniers qu'il a enfermés dans la cale.

Mais le combat n’est pas plus facile pour les Anglais. Le Repulse est durement touché et coule. Cependant, grâce au peu de profondeur de la rivière, on réussit à aveugler ses voies d'eau et à le renflouer. Du côté français, le Machault fait eau et manque de munitions. Les officiers décident alors de sacrifier leur navire. Écoutons d'Angeac: « La Giraudais vint donc me dire qu'il n'y avait plus de quoi faire feu et qu'il y avait sept pieds d'eau dans la cale. Je lui répondis, comme je le lui avais dit, que je ne quitterais le « Machault » que quand il déciderait de le brûler...» Et c'est ce qui se produit. Le même sort échoit au Bienfaisant et on n'épargne le Marquis de Malauze que par égard pour les prisonniers qui s'y trouvent.

Ceux-ci, craignant une explosion et une attaque nocturne des Micmacs, défoncent une cloison et forcent les écoutilles. L'un d'eux, excellent nageur, rejoint le Repulse et ils sont libérés. Byron fait alors incendier le Marquis de Malauze. Il envoie ensuite une goélette et dix-sept barges de 25 hommes chacune pour détruire le reste de la flottille de Chenard de la Giraudais. À terre, les Français continuent de riposter, mais ils ne réussissent qu'à sauver une goélette et deux barges. Devant leur persistance, les Anglais renoncent à poursuivre le combat et, après avoir célébré leur victoire, repartent vers Louisbourg et Halifax.

Pendent ce temps, les Français pansent leurs plaies. Ils ont perdu une trentaine d'hommes et comptent au moins autant de blessés, contre quatre morts et une dizaine de blessés pour les Anglais. Le village acadien de la Petite-Rochelle (200 maisons), situé sur la rive gauche de la Ristigouche, a été complètement rasé. Selon le père Pacifique de Valigny, 1400 personnes, Français, Acadiens et Indiens, vivent alors à Ristigouche qu'on fortifiait de nouveau au cas l'ennemi reviendrait. Le jour même du combat, Denis de Saint-Simon arrive de Montréal avec l'ordre de porter les dépêches officielles en France le plus tôt possible. Chenard de la Giraudais arme la goélette restante qu'il baptise le Petit Marquis de Malauze et, le 10 août, il repart pour la France, ou il ne pourra que rendre hommage à ses hommes.

À la fin d'août, d'Angeac reçoit l'ordre de quitter les lieux, mais, faute de moyens, il ne peut être prêt avant le mois d'octobre. Le 10 septembre, la Nouvelle-France a capitulé et Vaudreuil l'enjoint de se rendre aux Anglais. C'est fait le 29 octobre. Seulement quelques hommes restent dans la région jusqu'en 1761. Ils sont cependant en pays étranger.





Source :
Histoire de la Gaspéssie, Boréal Express /  Institut québécois de recherche sur la culture, Jules Bélanger, Marc Desjardins et Yves Frenette, 1981



Dernière mise à jour : ( 23-02-2009 )
 
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