CyberAcadie

L'histoire acadienne, au bout des doigts

Partie 7 - poême Version imprimable

 

Poème Évangéline

Un conte d'Acadie
Henry Wadsworth Longfellow
(traduction française de Pamphile LeMay (1837-1918))
 

SECONDE PARTIE - I


Déjà s'étaient enfuis bien des sombres hivers;
Les coteaux et les champs s'étaient souvent couverts
De verdure, de fleurs ou d'éclatantes neiges,
Depuis le jour fatal où des mains sacrilèges
Allumèrent le feu qui consuma Grand-Pré,
Et firent un désert d'un domaine sacré;
Depuis que loin des bords de la belle Acadie,
Honte unique en l’histoire, unique perfidie!
Les vaisseaux d'Albion, sous un prétexte vil,
Traînèrent pour jamais tout un peuple en exil.

Or, les Acadiens sur de lointains rivages
Furent disséminés, comme les fruits sauvages
Qui tombent d'un rameau que l'orage a cassé,
Comme les blancs flocons, alors qu'un vent glacé
Couvre, d'épais brouillards, les bancs de Terre-Neuve
Ou les bords enchantés de cet immense fleuve
Qui roule au Canada ses flots audacieux.

Sans amis, sans foyers, sous de rigides cieux
Ils errèrent longtemps de village en village,
Plusieurs ensemble ou seuls, de la torride plage
Où la savane, inerte en son lit indolent,
Aux baisers du soleil livre son sein brûlant,
Jusques aux lacs du Nord que la forêt domine,
Et qui dorment, l'hiver, sous un manteau d'hermine;
Des mers dont le bord semble orné de blancs rideaux,
Jusques à ces hauteurs où le Père des Eaux
Saisit les bancs de sable, et vers la mer les pousse
Avec mille débris de liane et de mousse,
Pour recouvrir les os de l'antique Mammouth.
Ils ne trouvèrent pas ce qu'ils cherchaient partout :
L'amitié d'un parent, le toit sacré d'un hôte.
Quelques-uns çà et là cheminaient côte à côte,
Et n'espéraient plus voir le foyer d'un ami.
Leur âme désolée avait assez gémi.
Ils n'aimaient plus la terre et sa joie hypocrite.
Sur des feuillets épars leur histoire est écrite,
Et ce sont, ces feuillets, les pierres des tombeaux.

Parmi les exilés qui promenaient leurs maux
Sur des terres de glace, ou sous des cieux de flamme,
On vit errer longtemps une plaintive femme.
Elle était jeune encor, et ses grands yeux rêveurs
Semblaient luire toujours de mystiques ferveurs.
Oui, la pauvre proscrite, elle était jeune et belle,
Mais alors bien affreux s'étendait devant elle
Le désert de la vie, avec ses longs sentiers
Bordés par les tombeaux de ceux qui les premiers
Fléchirent, dans l'exil, sous le poids des souffrances!

Elle avait vu mourir ses chères espérances,
S'envoler son bonheur et ses illusions.
Et son âme, fermée aux douces visions,
Ressemblait maintenant à l'âpre solitude
Où l'étranger s'enfonce avec inquiétude,
N'ayant pour se guider aux chemins incertains,
Que les débris des camps, et les brasiers éteints,
Et tous les os blanchis que le soleil fait luire.
Un vent de mort soufflait qui devait la détruire.
Elle était le matin avec son ciel vibrant,
Ses chants mélodieux, son effluve enivrant,
Qu'on verrait s'arrêter en sa pompeuse course,
Le ruisseau qu'on verrait remonter à sa source.

Dans les cités, parfois, elle portait ses pas;
Mais en vain; les cités ne lui redonnaient pas
L'ami qu'elle pleurait toujours. Désespérée,
Elle en sortait bientôt, et son âme altérée
Voyait la source fraîche, hélas! toujours plus loin!

Parfois elle venait, se croyant sans témoin,
Faible et lasse, s'asseoir au fond d'un cimetière.
Fixant ses yeux rougis sur la croix ou la pierre
Qui lui montraient l'endroit d'un suprême repos,
Elle s'agenouillait sur les humbles tombeaux,
Sur les tombeaux sans noms, les tombeaux que la foule
Regarde indifférente, et d'un pied distrait foule;
Et puis elle pensait : « Il est peut-être là! »
Et c'était son désir, en songeant à cela,
De dormir près de lui dans une paix céleste.

Mystérieuses mains qui l'appelaient d'un geste,
Une vague rumeur, un agréable bruit
Circulaient tout à coup, et son bon coeur, séduit,
Se ranimait alors et refoulait le doute.
Des voyageurs avaient, sur leur sauvage route,
Vu l'ami regretté qu'elle cherchait ainsi,
Mais c'était l'autre année, et c'était loin aussi.

« Oui, répondaient les uns, touchés de sa tristesse,
« Oui, nous l'avons connu, Gabriel Lajeunesse.
« Au récit de ses maux nos yeux se sont mouillés;
« Nous nous sommes souvent ensemble agenouillés.
« Son père l'accompagne. Il se nomme Basile.
« C'est un bon forgeron, un vieillard fort agile.
« Ils aiment la forêt; ils sont chasseurs tous deux,
« Et parmi les chasseurs leur renom est fameux. »

« Gabriel Lajeunesse? un jour, contaient les autres,
« S'il nous en souvient bien, il fut aussi des nôtres.
« De la Louisiane il franchit avec nous
« Les plaines sans confins et les nombreux bayous. »

Souvent avec bonté l'on disait : « Ta peine,
« Pauvre enfant, sera-t-elle aussi longue que vaine?
« Pourquoi toujours l'attendre et l'adorer toujours?
« Il a peut-être, lui, renié ses amours.
« Il est d'autres garçons dans notre voisinage,
« Qui sauraient comme lui fonder un bon ménage.
« Combien seraient heureux de vivre auprès de toi!
« Tu charmerais leur vie, ils béniraient ta loi.
« Et Baptiste LeBlanc, le fils du vieux notaire,
« A pour toi tant d'amour qu'il ne saurait le taire.
« Donne-lui le bonheur en lui donnant ta main,
« Et que dès aujourd'hui ton deuil ait une fin.
« Si belle, coiffe-t-on, las! sainte Catherine? »

Mais elle répondait, douce et pourtant chagrine :
« Donnerai-je ma main à qui n'a point mon coeur?
« L'amour est un flambeau dont la vive lueur
« Éclaire et fait briller les sentiers de la vie.
« L'âme qui n'aime pas au deuil est asservie
« Le lien qui l’enchaîne est un lien d'airain,
« Et pour elle le ciel ne peut être serein. »

Alors, son confesseur, ce protecteur fidèle
Qui, depuis le départ, était resté près d'elle,
En attendant qu’un père au ciel lui fut rendu,
Disait : « Ma bonne enfant, nul amour n'est perdu.
« Quand il n'a pas d'écho dans le coeur que l'on aime,
« Quand d'un autre il n'est pas, hélas! le bien suprême,
« Il revient à sa source et plus saint et plus fort,
« Et l'âme qu'il embrase aime son triste sort.
« L'eau vive du ruisseau que le soleil appelle,
« Au ruisseau redescend toujours vive et nouvelle.
« Sois ferme et patiente au milieu de tes maux;
« Le vent qui peut briser les flexibles rameaux,
« Fait à peine frémir les branches du grand chêne.
« Sois fidèle à l'amour qui t'accable et t'enchaîne;
« Ne crains pas de souffrir et bénis tes regrets :
« La souffrance et l'amour sont deux sentiers secrets
« Qui mènent sûrement à la sainte patrie. »

La jeune Évangéline, à ces mots attendrie,
Levait avec espoir ses beaux yeux vers le ciel;
La coupe de ses jours n'avait plus tant de fiel.
Elle entendait encor, au fond de sa pauvre âme,
La mer se lamenter, comme en ce jour infâme
Du suprême départ. Mais, parmi les sanglots,
Une voix s'élevait qui dominait les flots,
Voix désolée aussi, mais que l'amour tempère,
Et cette voix disait : « Évangéline, espère! »

L'infortunée ainsi, pendant de nombreux jours,
Promena dans l'exil sa peine et ses amours.
Sa jeune âme avait soif des douces sympathies,
Et son pied fatigué saignait sur les orties.

Esprit mystérieux, reprends ton noble essor,
Guide-moi de nouveau, je veux la suivre encor!
À ses côtés parfois et parfois à distance,
Je veux la suivre encor, la suivre avec constance,
Non pas sur tout chemin que la ronce a couvert,
Et non pas chaque jour où son coeur a souffert,
- Je ne sais tous les lieux où seule elle est allée, -
Mais comme un voyageur peut suivre, en la vallée,
Le cours capricieux d'un limpide ruisseau.
Le voyageur, ici, voit scintiller l'eau
Dans la trouée ouverte au fond de la ramure;
Et là, tout près du bord, il entend son murmure,
Mais il ne la voit point. Heureux est-il toujours,
Quand s'ouvre la forêt et reparaît son cours.

Dernière mise à jour : ( 04-03-2008 )
 
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