L'établissement de Terre-Neuve
Le premier contact européen avec le Nouveau Monde fut réalisé lors d'une expédition viking islandaise menée par Leif Eriksson (fils d'Erik le Rouge) vers l'an 1000. Sous son règne, des colonies vikings s'installèrent sur la côte est du Groenland. On en a retrouvé des vestiges de ces établissements à L'Anse aux Meadows.
De temps immémorial, des pêcheurs européens ont fréquenté les côtes de l'est de l'Amérique du Nord, notamment le littoral de la grande île de Terre-Neuve et le golfe du St-Laurent pour y poursuivre la baleine et pêcher la morue.
Située au large de l'estuaire du golfe du Saint-Laurent, l'île de Terre-Neuve a été découverte historiquement en 1497 au nom du roi d'Angleterre, Henri VII par Jean Cabot, accompagné de son fils Sébastien. Les Cabot la visitèrent de nouveau l'année suivante et Gaspar de Corte Real, accompagné de son frère Miguel, l'explora à son tour en 1501.
Dès 1521, plusieurs centaines de pêcheurs basques, espagnols, portugais, anglais et français se côtoyaient régulièrement dans les eaux de Terre-Neuve. La prodigieuse abondance de la morue qui s'y trouvait constituait une grande richesse à l'époque.
Les Anglais prennent possession de Terre-Neuve
En 1578, Elizabeth reine d'Angleterre concédait à Sir Humphrey Gilbert, beau-frère de son favori, Sir Walter Raleigh, «tous pays lointains payens et barbares non actuellement possédés par prince ou peuple chrétien». Le 5 août 1583, Sir Humphrey prit officiellement possession de Terre-Neuve.
La plupart des puissances européennes, dont la France, n'avaient pas voulu reconnaître cette prise de possession. Les Anglais n'y installèrent pas moins leurs postes de pêche.
C'est en 1610 que John Guy, marchand anglais de Bristol, établissait la première colonie permanente à Terre-Neuve dans la baie de la Conception. En 1623, George Calvert, futur Lord Baltimore, fonda un établissement à Ferryland, d'où il se retira en 1629. En 1632, il obtiendra le Maryland à titre de seigneurie, qu'il colonisa et où la ville de Baltimore perpétuera son nom.
De nombreux autres postes anglais surgiront par la suite sur les côtes orientales de Terre-Neuve.
À diverses reprises, la France avait vigoureusement protesté contre l'occupation de l'île par les Anglais, à l'instigation d'influents armateurs français, dont ceux de La Rochelle en particulier, qui étaient engagés dans l'industrie lucrative de la pêche sur les bancs de Terre-Neuve.
Ce n'est cependant qu'en 1635 que les Anglais accorderont aux pêcheurs français la permission de faire sécher leurs prises de morue sur les rivages de l'île. C'est alors que la pittoresque baie de Plaisance, située sur la côte sud de Terre-Neuve, devint le principal centre d'activité des pêcheries françaises du littoral de l'île.
Les Français s'installent à Plaisance
En 1658, à la faveur de l'état de guerre qui existait alors entre la France et l'Angleterre, Louis XIV octroya, au capitaine au long cours Nicolas Gargot, le port de Plaisance à titre de fief héréditaire, ainsi qu'une vaste concession s'étendant sur vingt-six lieues de profondeur dans la région du sud de Terre-Neuve. En 1660, une commission royale désignait Nicolas Gargot comme comte de Plaisance et gouverneur de l'île.
En 1662, Louis XIV fit fortifier Plaisance. Il nomma Thalour du Perron comme gouverneur, qui fut assassiné l'année suivante, ainsi que son aumônier, par des soldats de sa garnison. Quelques mois plus tard, un commissaire du roi, le sieur de Monts, se rendant à Québec, fit débarquer à Plaisance un détachement de soldats ainsi que des vivres et des munitions.
En 1663, le capitaine Nicolas Gargot, conduisant à Québec le nouveau gouverneur de la Nouvelle-France de Mésy, ainsi que le premier évêque de Québec Monseigneur de Laval, laissa à Plaisance plusieurs familles de colons. De sorte qu'à l'époque, Plaisance était devenu un poste fortifié comptant quelque deux cents soldats, colons et pêcheurs.
C'est alors que la France décida d'exercer sa souveraineté sur toute la partie sud de l'île de Terre-Neuve, du Cap Race au Cap Ray, ainsi que sur les îles du littoral.
Lors du recensement de 1687, cette vaste région groupait 36 familles, dont la plupart d'origine basque, ainsi que 488 engagés, formant une population totale de 663 personnes, dont 256 demeuraient à Plaisance.
En 1689, Monseigneur de Saint-Vallier, successeur de Monseigneur de Laval à Québec, rendait visite à Plaisance et il y installait deux Récollets: le Père Joseph Denys, qu'il avait nommé vicaire-général de l'île et le Père Sixte de Tac.
D'Iberville détruit les postes anglais de Terre-Neuve
En 1690, l'Angleterre étant de nouveau en guerre avec la France, des flibustiers anglais venus des côtes de l'est de Terre-Neuve saccagèrent Plaisance, y laissant la population dans le plus complet dénuement. La plupart des habitants ayant pris la fuite, il ne restait plus que 150 Français. De Prat était alors gouverneur.
L'année suivante, le 24 août 1691, les Anglais tentèrent un nouvel assaut contre Plaisance, mais le nouveau gouverneur François de Brouillan les repoussa. Puis, après avoir formé de petits détachements, qu'accompagnaient des matelots basques, De Brouillan se porta à l'attaque des établissements anglais de l'île qu'il dévasta à son tour; le mieux qu'il le pût.
Les Anglais s'attaquèrent de nouveau à Plaisance, en 1692 et en 1693, mais ils ne purent réussir à en déloger les Français.
Puis, des secours étant arrivés de France, d'Acadie et du Canada, De Brouillan reprit l'offensive. Il partit le 9 septembre 1696 avec huit navires armés en provenance de Saint-Malo, pour s'emparer de Saint-Jean, chef-lieu de la côte anglaise de l'île. Ayant subi un échec, il était de retour à Plaisance le 17 octobre pour y trouver Pierre Le Moyne d'Iberville, arrivé avec sa flotte depuis le 12 septembre. C'est alors qu'une nouvelle expédition contre les postes anglais de Terre-Neuve s'organisa.
Le 1er novembre 1696, d'Iberville partit de Plaisance avec 124 hommes en direction de Ferryland où De Brouillan avait également dirigé ses troupes par bateaux. Ils y effectuèrent leur jonction le 6 novembre. D'Iberville voulait d'abord s'attaquer à Carbonear qui ne pouvait être pris que par surprise.
De Brouillan s'y opposa, insistant pour que Saint-Jean soit assiégé en premier lieu. D'Iberville y acquiesça de mauvaise grâce.
Arrivé devant Saint-Jean le 28 novembre 1696, d'Iberville s'empara en quelques heures des deux premiers forts et assiégea le troisième qui capitula deux jours plus tard. Il lança ensuite des détachements de soldats contre le chef-lieu et les autres postes anglais qu'il pilla et détruisit au cours de l'hiver. De Brouillan, dont le concours lui avait été de peu de valeur, était retourné à Plaisance le 24 décembre.
Les soldats de d'Iberville avaient tué plus de deux cents Anglais et en avaient capturé 1,838. Une grande quantité de morue, du bétail et des approvisionnements avaient été enlevés de même que 371 bateaux de pêche qui furent remis aux Français de Plaisance ou brûlés. Jamais les établissements anglais de Terre-Neuve n'avaient été l'objet d'aussi dures représailles.
D'Iberville avait détruit les postes anglais échelonnés sur la côte orientale de Terre-Neuve, tels que le chef-lieu Saint-Jean, Petty Harbour, Bay Bulls, Ferryland, Renews, Portugal Cove, Torbay, Cape Saint Francis, Fermeuse, Aquaforte, Quidi Vidi, Brigus, Heart's Content, Bay de Verde, Port Grove, Old Pelican et New Pelican. Ces divers établissements comprenaient alors une population de 2,321 personnes, dont 293 résidents et 2,028 engagés.
Carbonear avait échappé à la destruction. Au printemps de 1697, d'Iberville s'apprêtait à attaquer Bonavista lorsque la Cour de France lui ordonna de se rendre à la Baie d'Hudson.
Plaisance est cédé à la France
Au Traité de Ryswick signé le 25 septembre 1697, la France et l'Angleterre se rendaient mutuellement leurs conquêtes en Amérique. Les Français conservaient l'Acadie et Plaisance. De leur côté, les Anglais conservaient leurs établissements de Terre-Neuve.
De plus, la France obtenait, dans la région de Plaisance, un vaste territoire s'étendant sur les côtes du sud-ouest de l'île, comprenant les baies de Plaisance, de Fortune et de l'Hermitage. À l'époque, des postes français avaient été établis à Petit-Plaisance, Pointe-Verte, Baie-Fortune, Grand-Banc, Hermitage ainsi qu'aux îles Saint-Pierre.
Le dernier gouverneur de Plaisance Pastour de Costebelle, dans un rapport au ministre Pontchartrain daté du 28 octobre 1708, donne une description détaillée de Terre-Neuve et de la région de Plaisance particulièrement. Nous avons extrait les passages suivants :
«L'île de Terreneuve a trois cents lieues de circuit de Cap en Cap, sans approfondir dans l'enfoncement des baies dont elle est presque toute formée. Les terres étant extraordinairement coupées, la baie de Plaisance, qui se prend depuis le Cap Sainte-Marie, a 24 lieues de profondeur et 14 de largeur jusqu'au Cap Judas qui en forme l'ouverture. Elle renferme plusieurs îles dont les plus observées sont l'Ile Rouge et l'Ile Longue qui ne sont point habitées. Il n'y a aucun bois propre à la construction et à la mâture des vaisseaux, excepté du côté de la Régente dont on peut tirer quelques mâts de hunes pour des bâtiments de 28 à 30 canons. Encore faut-il couper vingt arbres pour en trouver un de bon. Il ne faut pas compter cet endroit à pouvoir fournir des bois d'une véritable utilité.
«Du fond de la baie de Plaisance il n'y a que trois quarts de lieue à percer pour pouvoir joindre la baie fréquentée par les Anglais, appelée la baie de la Trinité ... D'un havre appelé le degrat de Jean de Bordeaux, à trois lieues du Petit Plaisance, il n'y a que sept lieues de terre à traverser pour aller dans la baie de la Conception, d'où vous tombez dans la baie de Charbonnière et de Charbonnière à Belle-Isle il y a quatre lieues .. . . Vous avez dans la même baie le port de Postegrue, où il ne peut mouiller que des vaisseaux de 60 tonneaux, suivant la côte de l'Ouest jusqu'au cap de Ray distant de celui de Sainte-Marie de 80 lieues nous avons des havres connus et fréquentés pour la pêche à la morue qui sont le Grand Martin, le Petit Martin, les Burins, le Petit et le Grand Saint-Laurent et la baie de l'Asne dont l'entrée est très dangereuse et l'on n'oserait y naviguer sans pilote du pays. Prolongeant la même côte vous arrivez aux Isles Saint-Pierre sur laquelle les habitants ne peuvent point hiverner faute de bois à brûler ... La baie de la Fortune joignant celle des Espoirs a 25 à 30 lieues de profondeur, c'est celle où tous les habitants sont en nombre de 28 à 30 familles établies et font la pêche en différents postes …
«La pêche du saumon est abondante généralement dans les fonds de toutes les baies dont l'île de Terre-Neuve est remplie où se déchargent les rivières d'eau douce qui se forment par la quantité d'étangs qui sont sur l'île. Le saumon qui va chercher les rapides pendant les mois de juin et juillet pour répandre sa semence abonde infiniment dans cette saison, mais ils sont beaucoup moins gros qu'en France. Il s'en place communément dans une barrique 80 à 90 de ceux qu'on a dans le pays.
«La pêche à la morue étant la plus avantageuse et la plus infaillible détruit celle de tous les autres poissons et c'est l'unique à laquelle tous les habitants s'attachent, n'en connaissant point d'autres d'un plus assuré débit ni qui puisse fournir à charger la quantité des bâtiments qui viennent dans ce port ...
«Les forêts ne sont que du bois de sapin, merisier et épinette, les autres manquent généralement de nourriture par l'ingratitude de la terre, étant venus dans une certaine grosseur suivant le plus ou moins de leur avantageuse situation manquent tout d'un coup de sève et pourrissent de leurs pieds ce qui fait que pour en trouver des bois soit pour la mâture ou la construction, il faut en abattre dix pour en avoir un de bon.
«La chasse du pays la plus utile à l'entretien de ses habitants est celle du cerf ou caribou, son bois est plat. La viande en est fort bonne et les chasseurs nous la vendent ordinairement six sous la livre : c'est la difficulté et l'éloignement du transport qui cause sa cherté.
«Nous avons beaucoup de lièvres et des perdrix, ces deux espèces blanchissent comme neige dans l'hiver et reviennent en printemps les lièvres moins roux qu'en France et les perdrix du plumage des gélinettes des bois, elles perchent souvent de même. Il n'y a point d'endroit dans tout ce continent où elles soient si bonnes qu'à Plaisance pour la quantité de petits fruits rempants dont elles se nourrissent et qu'elles ne trouvent pas ailleurs où les terres sont beaucoup plus longtemps couvertes de neige que sur cette île où nous avons souvent des dégels dans les mois de l'hiver qui devraient être les plus rudes.
" Si les habitants n'avaient pas de plus avantageux travail que celui de s'appliquer à la chasse ordinaire, ils pourraient tirer sur cette île, des ours, des loups, des renards rouges et argentés, des castors et des martres dont les peaux sont de valeur, mais ils trouvent encore mieux leur compte à scier des planches, à construire des canots, chaloupes et à préparer pendant l'hiver tout ce qui est nécessaire à la pêche des morues qui fournit de tout temps de fort grandes occupations à ceux qui veulent s'y appliquer».
Nouvelles expéditions contre les établissements anglais
En 1697, Joseph De Monic succéda à De Brouillan comme gouverneur de Plaisance. En 1702, De Monic fut à son tour remplacé par Daniel Auger de Subercase qui s'employa à peupler la colonie et à améliorer les défenses de Plaisance, car en 1701 la nouvelle Guerre de la Succession d'Espagne avait éclaté entre la France et l'Angleterre.
Au cours des premières années du conflit européen, les Anglais et les Français de Terre-Neuve avaient respecté une passive neutralité. À la faveur d'une entente strictement observée, ils avaient même procédé à l'échange des prisonniers capturés en haute mer.
Mais au mois de janvier 1705, Subercase ayant reçu d'importants renforts en hommes et en approvisionnements décida de déclencher les hostilités. En plein hiver, à la tête d'une troupe de 450 hommes, dont un certain nombre d'Abénaquis, il lança une attaque contre les postes anglais de Terre-Neuve qu'il ravagea. Subercase ne put cependant s'emparer des forts à l'intérieur desquels les Anglais s'étaient solidement retranchés.
En Europe, la Guerre de la Succession d'Espagne tournait au désastre pour la France. Le fameux duc de Marlborough remportait victoire sur victoire contre les troupes françaises. La France se trouvant dans l'impossibilité de ravitailler ses colonies, Plaisance souffrait de disette.
En 1706, Subercase avait été nommé gouverneur d'Acadie. Son successeur à Plaisance, Philippe Pastour de Costebelle, profitant de la présence de navires canadiens et acadiens forcés par le mauvais temps d'hiverner à Plaisance, enrôla leurs équipages qu'il dirigea dans une nouvelle expédition contre les postes anglais de Terre-Neuve.
C'est le lieutenant de roi à Plaisance, Joseph de Brouillan de Saint-Ovide qui prit le commandement du détachement, comprenant quelque deux cents hommes. Il les dirigea contre le chef-lieu Saint-Jean.
Débarqués à la faveur de la nuit, les assiégeants attaquèrent le fort Guillaume, à la pointe du jour, avec une telle impétuosité qu'ils s'en emparèrent aussitôt et que les deux autres forts protégeant Saint-Jean se rendirent sans coup férir. L'élément surprise avait été fatal aux Anglais.
De Saint-Ovide fit quelque 800 prisonniers au nombre desquels se trouvait le major Lloyd, gouverneur des établissements anglais de l'île. Terre-Neuve était de nouveau tombée aux mains des Français. Après avoir démantelé les trois forts protégeant Saint-Jean, de Saint-Ovide retourna à Plaisance.
Par contre, Port-Royal en Acadie, qui avait victorieusement soutenu un premier siège des Anglais en 1704 et un second en 1707, fut finalement capturé par Nicholson en 1710. L'année suivante, l'amiral Hovenden Walker, parti de Boston pour se diriger vers Québec, à la tête d'une forte escadre, perdait huit de ses navires qui, au cours d'une violente tempête, allèrent se briser sur les dangereux récifs de l'île aux Oeufs dans le golfe du Saint-Laurent. 1 500 hommes avaient péri dans ces naufrages.
Nicholson, qui se dirigeait en même temps sur Montréal avec une armée forte de 2,300 hommes, prévenu de ce terrible désastre, rebroussa chemin. Le Canada et Plaisance étaient sauvés, mais l'Acadie était tombée aux mains des Anglais.
L'Angleterre recouvre Terre-Neuve
En Europe, la Guerre de la Succession d'Espagne avait pris un nouveau tournant favorisant les armées françaises. En septembre 1710, le duc de Vendôme, maréchal de France, avait écrasé une armée autrichienne à Villaviciosa en Espagne, sauvant ainsi la couronne de Philippe V, petit-fils de Louis XIV. Deux ans plus tard, le duc de Villars, également maréchal de France, avait remporté à Denain une victoire éclatante qui sauva la France au cours de cette guerre.
Après la bataille de Denain, la reine Anne d'Angleterre, peu anxieuse de poursuivre une guerre qui tournait décidément en faveur de la France, prit des dispositions pour y mettre fin. D'ailleurs, des négociations préliminaires de paix avaient déjà été entamées à Utrecht en janvier 1712. La reine approuva donc sans hésitation le protocole du 8 août 1712 suspendant les hostilités entre la France et l'Angleterre.
Les pourparlers de paix engagés entre ces deux puissances furent souvent menacés d'être rompus en raison des exigences des Anglais, qui entendaient bien recouvrer Terre-Neuve et se maintenir en Acadie, où se trouvaient les deux postes fortifiés de Plaisance et de Port-Royal.
De son côté, la France pouvait difficilement se résigner à de telles pertes de territoire, lui enlevant la maîtrise de l'estuaire du golfe du Saint-Laurent et exposant dangereusement la Nouvelle-France à devenir une proie facile pour les Anglais.
À ses plénipotentiaires, Louis XIV avait fait remettre des instructions précises, consignées dans un document signé de sa main et contresigné par Colbert de Torcy, secrétaire aux Affaires Étrangères, qui révèlent bien l'intention du roi de s'efforcer de recouvrer l'Acadie et de conserver l'île du Cap Breton en échange de Terre-Neuve :
«Sa Majesté confirme la permission qu'elle a donnée à ses plénipotentiaires de permettre en son nom aux Anglais la cession de l'île de Terre-Neuve à condition que les Français auront toujours la faculté de pêcher la morue et de la sécher sur cette île. Elle consent que toutes les îles situées autour de celle de Terre-Neuve et de sa dépendance soient aussi cédées à l'Angleterre.
«Enfin, Sa Majesté veut bien remettre à cette couronne la ville de Plaisance, fortifiée en l'état où elle est présentement. Le Roi demande en échange que l'Acadie occupée par les Anglais lui soit restituée entièrement avec la ville de Port-Royal. Sa Majesté prétend aussi conserver l'Île du Cap-Breton.
«Si les Anglais étaient maîtres de cette île de l'Acadie et de l'île de Terre-Neuve, ils seraient aussi les maîtres de l'entrée de la rivière de Saint-Laurent. Il dépendrait d'eux d'interdire quand ils le voudraient le commerce entre la France et le Canada. Il est par cette même raison d'une extrême conséquence d'obtenir la restitution de l'Acadie et de conserver le Cap Breton en cédant l'île de Terre-Neuve. L'importance par rapport à la navigation en est marquée dans le mémoire remis aux plénipotentiaires sur les affaires de la Marine. L'intention du Roi est qu'ils s'y conforment et qu'ayant à se relâcher pour le bien de la paix ils le fassent par degrés ainsi que ce mémoire le marque.
«Mais si les facilités qu'ils ont le pouvoir d'apporter sur ce sujet à la conclusion du traité ne suffisent pas encore, Sa Majesté veut bien qu'ils consentent de laisser aux Anglais l'Acadie et Terre-Neuve à condition que le Roi gardera l'île du Cap-Breton, dont la conservation est en ce cas absolument nécessaire pour avoir l'entrée du Canada libre.
« Enfin, à toute extrémité Elle leur permet ou de laisser au choix des Anglais de garder l'Acadie, Sa Majesté conservant le Cap-Breton ou bien de prendre pour eux le Cap-Breton à condition de restituer l'Acadie, mais dette proposition dont l'effet serait très contraire au bien de son service ne doit être faite que lorsqu'il n'y aura plus d'autres moyens de conclure un traité avec les Anglais et d'empêcher la rupture des négociations.
«Il est si important de prévenir un pareil mouvement que le Roi veut même céder l'Acadie et le Cap-Breton si cette cession peut faire la paix. Mais les plénipotentiaires ne se relâcheront sur ce point qu'à la dernière extrémité, car en cédant l'un et l'autre le Canada devient inutile, l'entrée en est fermée, toutes les pêches cessent et la marine de France se détruit absolument, ce sont ces considérations qu'ils doivent toujours avoir sous les yeux afin de disputer le plus qu'il leur sera possible sur un point aussi important».
À la suite de longues et pénibles négociations, les plénipotentiaires des couronnes de France et d'Angleterre s'entendirent finalement sur les termes suivants :
«Que l'île du Cap-Breton demeurera au Roi avec la faculté d'y faire fortifier. Que la province de l'Acadie avec tous les droits et prérogatives dont les Français ont joui sera cédée par Sa Majesté à la reine de Grande-Bretagne avec l'île de Terre-Neuve et les îles adjacentes à cette île. Bien entendu que les Français auront et conserveront la faculté de pêcher et de sécher leurs pêches sur les côtes de la dite île de Terre-Neuve depuis le Cap de Bonavista en remontant par le nord jusqu'à la pointe Riche. Que toutes les îles situées à l'entrée de la rivière et dans le golfe de Saint-Laurent appartiendront au Roi».
Le traité de paix, signé à Utrecht le 11 avril 1713 entre la France et l'Angleterre, cédait donc Terre-Neuve et l'Acadie aux Anglais. Plaisance serait évacuée. La France conservait cependant la possession des îles du golfe du Saint-Laurent, dont le Cap-Breton.
Source:
Bona Arsenault, Louisbourg 1713-1758, Le conseil de la vie française en Amérique, 1971, p. 9-p.21
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