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L'histoire acadienne, au bout des doigts

Le français acadien (dialecte) - Partie 2 Version imprimable


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Données historiques

Les acadianismes répertoriés tirent leur origine de trois principales sources : les langues gallo-romanes (comprenant les parlers de France et le parler de l'Île-de-France), la langue anglaise et les langues amérindiennes (notamment le micmac). Sur l'ensemble des emplois traités, 90 % semblent découler des parlers gallo-romans (dont 50 % ont été relevés dans les dictionnaires français ou les parlers régionaux), 6 % à l'anglais et 3 % aux langues amérindiennes. 1 % des mots sont d'origine inconnue ou obscure.

Les acadianismes d'origine française constituent donc la partie la plus importante du lexique acadien étudié. Pour ces mots dont l'origine a pu être bien délimitée, nous pouvons attester que 55 % d'entre eux sont hérités des parlers régionaux de France (dialectalismes) et que 45 % d'entre eux proviennent du français général de l'époque (archaïsmes). Parmi les mots consignés dans les dictionnaires français, quelques-uns présentent des attestations plus anciennes en Acadie qu'en France (ex.: décolleur, piqueur, vigneau). Pour les mots dont les origines françaises sont incertaines, plusieurs d'entre eux semblent pouvoir se rattacher à la langue française en présentant soit une extension de sens d'un mot déjà consigné (acadianisme sémantique) ou encore en étant un dérivé d'un mot français (acadianisme formel).

La consultation de nombreux ouvrages traitant des régionalismes en France nous permet de rapprocher les acadianismes de leurs régions d'origine : l'ouest atteste presque la moitié des acadianismes relevés. Viennent ensuite le nord-ouest qui en compte entre 15 et 20 %, le centre avec moins de 10 %, et le nord et l'est avec moins de 5 %. Ces pourcentages sont éloquents : plus de la moitié des acadianismes hérités des parlers de France peuvent être retrouvés dans l’ouest, d'où sont partis les premiers colons français venus peupler l'Acadie. Ces données viennent en outre appuyer les travaux de Genevève Massignon à ce sujet. Enfin, il est intéressant de noter les nombreux cas d'attestations d'acadianismes dans les parlers de Bourgogne, pourtant une région assez éloignée de l'Ouest.

Quant à ce qu'on appelle traditionnellement des «archaïsmes», ce sont des emplois qui faisaient partie de la langue générale au moment de la colonisation et qui, depuis, ne sont plus en usage en France, alors qu'ils continuent d'être employés en Acadie. On trouve généralement ces emplois sans marque dans les dictionnaires généraux des 17e, 18e ou 19e siècles, mais ils ne sont plus attestés dans les dictionnaires contemporains ou y sont présentés avec les marques «vieux», «vieilli» ou «archaïque». Le faible pourcentage d'archaïsmes relevés dans les emplois d'origine gallo-romane (23 %) remet en cause la croyance populaire qui veut qu'une bonne partie, voire la majorité du lexique acadien, soit issue de l'ancien ou du moyen français. Il est intéressant de constater que beaucoup de ces emplois continuent de vivre non seulement en Acadie, mais dans les parlers régionaux de France (marqué vieux ou régional dans les dictionnaires) (par ex. : haim ou platin ).

Plusieurs des archaïsmes relevés ont eu une longue vie en français et ne sont tombés dans l'oubli qu'au cours du dernier siècle. Nous pensons à des mots comme espérer, au sens d'«attendre», attesté depuis le 12e siècle jusqu'en 1870. Baillarge, relevé au début du 15e siècle et qui n'a reçu le statut régional qu'à partir de 1900. Certains archaïsmes sont tombés après avoir été en concurrence avec un synonyme pendant un certain temps. Ainsi en est-il de bailler qui, relevé au 12e siècle par Godefroy, attesté ensuite au 16e siècle chez Dupuys, a perdu de sa popularité au profit de «donner» dès la fin du 17e siècle. Aviser a subi le même sort : attesté chez Dupuys au 16e siècle, il est considéré d'usage «bas» dès la fin du 17e siècle, pour être finalement remplacé par «apercevoir». Aviser est toutefois demeuré très vivant dans les parlers régionaux. Mitan, relevé au 12e siècle par Godefroy, a perdu ses lettres de noblesse en français dès le 17e siècle devant «milieu», mais demeure également très répandu dans les parlers régionaux. On peut encore citer le verbe hucher qui a cédé le pas devant «crier» depuis le 17e siècle, mais qui est toujours très usité en région.

D'autres acadianismes hérités de France ont été consignés parce qu'ils ont aujourd'hui, en France, la marque «littéraire» alors qu'ils sont d'usage courant en Acadie. C'est le cas par exemple de déconforter, bénaise ou serein.

Dans la catégorie de mots tirés du domaine gallo-roman, certaines recherches linguistiques indiquent en outre des rapports avec le vocabulaire maritime. Nos données semblent confirmer cette hypothèse : certains termes ont gardé le sens maritime, en devenant tout simplement un terme d'usage général (ex.: noroît, fayot), tandis que d'autres termes ont évolué sémantiquement pour représenter davantage une réalité qui n'avait plus nécessairement de rapport avec la vie des marins (ex.: amarre, paré, débarquer, abrier et balise).

Enfin, à partir de mots hérités de France, les Acadiens ont souvent innové. Par exemple, pilot, en référence à la culture du sel dans l'ouest de la France, a été repris dans un sens beaucoup plus large en Acadie. Outre des extensions de sens à partir de termes maritimes, on trouve également de nombreuses innovations sémantiques pour rendre compte des réalités géographiques, naturelles, culturelles et sociales du Nouveau Monde (par ex.: violon ; passe-pierre ; marionnettes et lances).

L'apport d'anglicismes dans le français acadien n'est pas un phénomène nouveau. Ces emprunts ont été repris directement de l'anglais (ex.: feed , berry) ou ont été intégrés au français après une adaptation formelle et phonétique (ex. : buckwheat deviendra bocouite ; to bail deviendra béler). D'autres ont fait l'objet d'une traduction (ex. : trial deviendra assaye).

Quant à l'apport amérindien, malgré l'importance des Amérindiens dans la survie et le développement de la communauté française en Acadie au début de la colonisation, peu d'amérindianismes ont été intégrés au français acadien. En raison du fait que les systèmes linguistiques en présence (français et le plus souvent micmac) n'avaient absolument rien en commun, les emprunts ont fait l'objet de transformations qui rendent parfois difficile la recherche de l'origine amérindienne (par ex. : neskawe deviendra escaouette; kwemoo deviendra couimou) ; l'exemple de maskwe qui a donné de nombreuses variantes (machcoui, maskoui, machecoui, machekoui, mashcoui, mashquoui) montre bien la difficulté pour les Français de comprendre la langue amérindienne.

Enfin, un pourcentage non négligeable d'acadianismes est d'origine vague ou inconnue. Ce purgatoire» comprend quelquefois des termes servant à définir les réalités géographiques, naturelles, culturelles et sociales du Nouveau Monde, et semble constituer des innovations formelles ou sémantiques acadiennes (ex.: bûcherie, passe-pierre).

Dans un dernier temps, il faut signaler l'importance de la répartition géolinguistique dans l'étude historique. Des données, comme l'attestation de certains acadianismes dans les aires des îles Saint-Pierre et Miquelon et en Louisiane, ont souvent apporté un éclairage essentiel à la compréhension de certains faits linguistiques, notamment en permettant de mieux dater ces faits. Ainsi, un exemple intéressant à ce sujet est le mot poutine, que certains auteurs ont rattaché à la forme anglaise pudding; cette hypothèse peut être plausible en considérant qu'il s'agit ici de deux plats de cuisine. La forme poutine est cependant attestée en Louisiane, ce qui suppose qu'elle fut courante durant et peut-être avant le 18e siècle; cette présence à l'époque de la dispersion jette alors un doute sérieux sur ses origines anglaises, puisque les emprunts à l'anglais étaient alors quasi inexistants.

 

Lexique des acadianismes sur cette page:

 

- Abrier : Couvrir, mettre à l'abri. S'abrier avec une couverture. Attesté partout en Acadie et au Québec.

- Amarre : Toute corde, ficelle, câble servant à lier, à attacher. Amarre de souliers. Attacher un piquet avec une amarre. En France, amarre signifie «cordage servant à attacher un bateau à un point fixe ou à attacher divers objets dans un bateau».

- Assaye : Procès en cours de justice. Avoir son assaye dans trois semaines.

- Aviser : (1) Apercevoir, regarder attentivement. On a avisé l'ours tout d'un coup. S'aviser dans un miroir. – (2) Se renseigner (attesté en Louisiane)

- Baillarge : Orge, comme dans soupe au baillarge. Au Québec, on dit orge ou encore barley dans la locution soupe au barley.

- Bailler : Donner. Bailler son argent, bailler du travail à quelqu'un. (Note historique : Héritage de France ; attesté en français dès le milieu du 12e siècle. La forme bailler garde en Acadie au 20e siècle le statut qu'elle avait au début du 17e siècle en France, c'est-à- dire qu'elle maintient un usage souvent aussi fréquent que son synonyme donner.

- Balise : Arbuste placé de manière à indiquer le tracé d'une route, d'un chemin en hiver.

- Béler : Écoper, vider, notamment en parlant de l'eau accumulée dans une embarcation. Béler l'eau de sa chaloupe avec un seau.

- Bénaise : Content, heureux. Je suis bénaise de vous voir.

- Berry : Airelle vigne d'Ida (Vaccinium vitis- idaea), plante rampante qui produit de petits fruits rouges, pouvant être employés dans la confection de gelée ou de sauce, tout comme la canneberge.

- Bocouite : Sarrasin. Farine de bocouite, crêpe de bocouite.

- Bûcherie : Travail communautaire organisé pour couper du bois, notamment du bois de chauffage.

- Couimou : Nom commun donné au plongeon, notamment le plongeon huard (Gavia immer) et le plongeon catmarin (Gavia stellata).

- Débarquer : Sortir d'un véhicule. Nous débarquons d'une voiture comme les marins d'un navire, d'une barque.

- Décolleur : Personne qui tranche la tête de la morue et vide le poisson de ses entrailles, après qu'il eut été ouvert par le «piqueur».

- Déconforter : Se décourager. (Note historique : Héritage de France ; attesté en français comme verbe transitif dès 1050 sous la forme desconforter, puis déconforter depuis la fin du 17e siècle. Relever en outre sous la forme pronominale dans les parlers du Nord et du Nord Ouest, et transitif en Anjou).

- Escaouette : Danse exécutée par les quêteurs de la chandeleur. La danse de l'escaouette.

- Espérer : (1) Attendre quelqu'un ou quelque chose. J'espère le courriel. Espérer un enfant : être enceinte. (2) Attendre de faire quelque chose. Espérer à gagner la loterie.

- Fayot : Partie comestible du haricot (Phaseolus vulgaris), comprenant soit les cosses, soit les graines seules (fèves). Fayot blanc, vert ; Cosse de fayots. Soupe aux fayot. Au Québec, fève désigne le haricot, soit le fayot acadien, tandis que fève en Acadie désigne la grosse fève (Vicia Faba), soit la gourgane au Québec.

- Feed : Nourriture, notamment du grain moulu, pour animaux de ferme. Feed de cochon, de cheval. Sac de feed.

- Haim : Hameçon. Jeter son haim à l'eau. Aussi relevé sous la graphie «aim».

- Hucher : Appeler quelqu'un à haute voix. Hucher à son voisin, hucher fort.

- Machcoui : Écorce du bouleau blanc qui servait autrefois d'isolant pour les murs et les toitures.

- Marionnettes (Lances) : Aurore boréale, manifestation lumineuse déclenchée pas l'activité du soleil sur les électrons dans l'atmosphère qui éclairent par certains soirs les régions polaires du ciel de brillants jeux de couleur aux mouvements incessants.

- Mitan : Milieu, centre. Le mitan de la place. Le poêle au mitan de la cuisine.

- Noroît : Vent qui souffle du Nord-ouest.

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Paré : Prêt. Le souper est paré. Es-tu paré pour partir ?

- Passe-pierre : Plantain maritime, herbe comestible affectionnant les sols salés, poussant en touffes de petite taille dans les marais.

- Pilot : Tas, pile. Pilot de bois. Mettre en pilot; mettre (des morues) en tas pour les faire sécher.

- Piqueur (ou piqueux) : Personne qui ouvre la morue (poisson) avec un couteau pointu pour qu'elle soit ensuite vidée de ses entrailles par le «décolleur».

- Platin : Terrain bas et humide au ras de l'eau, qu'on exploite notamment pour la culture du foin, et qui peut être inondée périodiquement par la débâcle du printemps ou par les fortes marées de printemps ou d'automne. En France, le platin s'associe davantage à la partie de la plage ou du haut-fond qui subit l'action quotidienne des marées.

- Poutine : Mot d'un emploi universel en Acadie, pouvant désigner cinq ou six mets différents (Poutine râpée ; Poutine à trou ; Poutine à la râpure …). À ne pas confondre avec la «Poutine» au Québec, qui est un met à basse de pomme de terre frite, fromage et sauce.

- Serein : Humidité ou fraîcheur dans l'air à la tombée du jour.

- Vigneau : Table en treillis construite en bordure de l'eau, sur laquelle on fait sécher la morue au soleil, après que le poisson ait été vidé et salé.

- Violon : Mélèze laricin (Larix laricina), conifère atteignant 19 à 22 mètres de hauteur, qui se dépouille de ses feuilles à l'automne et dont le bois résiste à la pourriture. Bois de cet arbre. Bois et écorce de violon. Au Québec, on dit épinette rouge.


 

 

 

 

 




Source
texte, définitions et images : Dictionnaire du français acadien, Yves Cormier, Éditions Fides, 1999.ISBN 2-7621-2166-3,


Dernière mise à jour : ( 20-08-2008 )
 
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