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L'histoire acadienne, au bout des doigts

Une nouvelle Acadie (1761-1786) Version imprimable

 

Le Traité de Paris (1763) devait confirmer les succès militaires de l'Angleterre en Nouvelle-France. Par ce traité, la France cédait à l'Angleterre toutes ses possessions en Amérique du Nord, sauf les îles Saint-Pierre et Miquelon. Dans les provinces Maritimes, la métropole anglaise se voyait octroyer l'île Royale (Cap-Breton) et l'île Saint-Jean (île du Prince-Édouard). Le traité réglait du même coup la possession du Nouveau-Brunswick, revendiqué depuis 1713 à la fois par l'Angleterre et par la France. Au point de vue administratif, l'Angleterre décida d'inclure tout le territoire des Maritimes dans la province de la Nouvelle-Écosse. La conquête de l'Acadie était faite.

Au lendemain du Traité, les Acadiens pour la plupart dispersés ne posaient plus de menace à l'hégémonie anglaise. Et c'est pourquoi le «Board of Trade», en 1764, décida de permettre aux Acadiens de revenir dans leur ancienne patrie moyennant deux conditions:

1- Ils doivent accepter le serment d'allégeance, inconditionnellement.
2- Ils doivent se disperser en petits groupes.

C'est ainsi qu'à partir de 1764 les Acadiens reviennent, non pas par «caravanes» de quelques centaines de personnes, comme on l'a parfois prétendu, mais par petits groupes. Cette histoire du retour des Acadiens n'est pas encore écrite, mais l'on sait que les Robins, entrepreneurs de Jersey (Île anglo-normande appartenant à l'Angleterre) s'intéressant à la pêche, ont contribué au rapatriement d'un bon nombre d'Acadiens qui se trouvaient alors en Europe. Un bon nombre revint également des États-Unis et du Québec, mais la plupart ne retournèrent pas en Nouvelle-Écosse: ils préférèrent se diriger vers le Nouveau-Brunswick actuel, loin des pressions anglaises. La vallée de la rivière Saint-Jean et la côte est du Nouveau-Brunswick reçurent ainsi, entre 1764 et 1786, d'importants apports francophones. Ceux qui malgré tout optèrent pour la Nouvelle-Écosse actuelle s'établirent dans les régions de la Baie Sainte-Marie à l'Ouest, et de Chéticamp à l'est (Cap-Breton). Quant aux Acadiens qui poursuivirent leur pérégrination jusque dans l'Île du Prince-Édouard, ils se dirigèrent vers la région de Malpèque.

Pendant ce temps, l'Angleterre continuait l'organisation du territoire. La toponymie prenait un autre visage:

  • Les Mines devenait le Canton de Horton.
  • Rivière-aux-Canards devenait Cornwallis.
  • Baie Verte devenait Cumberland.
  • Chignectou devenait Amherst.
  • Tintamarre devenait Sackville.
  • Cap Fourchu devenait Yarmouth.
  • etc.

Cette tradition de changer les noms français pour des noms anglais sera maintenue jusque dans le XXe siècle:

  • Petit Sault deviendra Edmundston.
  • Nipisiguit (ou Saint-Pierre) deviendra Bathurst.
  • Le Coude deviendra The Bend puis Moncton.
  • etc.


Des noms indiens ont été conservés, mais ils ont été anglicisés. Chipagan devenait Shippigan, Bouctouche devenait Buctouche, Chimougoui devenait Shemogue, etc.

Après avoir fait arpenter l'île Saint-Jean par Samuel Holland qui l'avait divisée en 67 lots d'environ 20,000 acres chacun, l'Angleterre s'était interrogée quant au mode de distribution des terres. Les avis étaient partagés: Lord Egmont voulait se faire octroyer toute l'île avec le titre de «Lord Paramount». Il y projetait une colonie semi-féodale avec des manoirs et des barons. (Le Duc de Richmond avait une pensée similaire pour l'île Royale et il en sollicitait la concession). D'autres voulaient un mode de concession qui eût octroyé les terres directement aux colons. Londres opta pour un tirage au sort de 64 lots sur 67 et les distribua à des personnages qui méritaient une récompense de leur patrie. On réserva trois lots pour subvenir à l'entretien des écoles, des églises et du gouvernement. Ce système de «propriétaires fonciers absents» devait nuire au développement de l'île jusqu'en 1873, année de l'entrée de l'Île dans la Confédération canadienne. Entretemps, les titres de propriété changeaient de main et la plupart des propriétaires, ne résidant pas sur l'ile, ne s'occupaient pas vraiment d'honorer leurs contrats. La population de l'Île, Acadiens et anglophones demeuraient donc sur des terres qu'elle ne pouvait racheter, aux prises avec les tracasseries journalières des agents des propriétaires. Les Acadiens, qui se trouvaient pour la plupart sur le lot no. 17 du Colonel Compton ne purent s'entendre avec leur seigneur: c'est pourquoi ils déménagèrent dans la région de la Baie d'Egmont, plus au Sud vers 1812.


En 1769, face aux difficultés d'administration d'une colonie aussi lointaine que l'île Saint-Jean à partir d'Halifax, Londres décida d'ériger l’île en colonie autonome. Séparée de la Nouvelle-Écosse, la nouvelle province reçut le nom de «Prince Edward Island» en l'honneur de Edward Augustus, duc de Kent, futur père de la Reine Victoria qui séjournait alors au Canada. La capitale fut maintenue sur l'ancien site de Port-la-Joye, mais on la rebaptisa «Charlottetown». Une législature provinciale, convoquée pour la première fois en 1773, compléta l'organisation de l'Île du Prince-Édouard. Cela mettait fin à six années (1763-1769) d'administration où l'Union des Maritimes avait été virtuelle.

Quant au Cap-Breton, dépendant de la Nouvelle-Écosse, ses colons vivaient dans la plus grande pauvreté. Quand cette région envoya deux représentants à la Législature de Halifax en 1765, on leur répondit que cette partie de la province, n'ayant pas de francs tenanciers, n'avait pas droit à des représentants; ils furent donc expulsés de la Législature. Il y avait bien sur le Cap-Breton des mines de charbon, mais dès 1774, Londres en avait réservé l'exploitation à la Royal Navy.

La Révolution américaine vint changer cette évolution et provoqua une deuxième réorganisation de l'Empire colonial britannique (la première ayant été dictée par la conquête de la Nouvelle-France). Ironiquement, ce sont les plus anciennes colonies britanniques qui contestèrent le plus le pouvoir anglais, alors que les colonies nouvellement acquises de la France restèrent soumises. Il y eut bien, ici et là au Canada et dans les provinces Maritimes, des colons qui se déclarèrent contre l'Angleterre, mais les habitants des anciennes colonies françaises demeurèrent généralement fidèles à leur nouveau roi. Les campagnes de la Nouvelle-Écosse, notamment celles de l'Ouest, parurent pour un temps pencher du côté des Américains, mais en général, ils ne dépassèrent pas le stade de la neutralité. Au Nouveau-Brunswick, Isaïe Boudreau, de Memramcook, enrôla une vingtaine d'Acadiens pour soutenir l'effort de l'Américain John Allen dans son incursion contre le fort Cumberland, tandis que les Amérindiens de l'est du Nouveau-Brunswick menaçaient de s'allier aux colonies rebelles, ce que leur missionnaire réussit à prévenir.

La Révolution américaine devait aboutir au Traité de Versailles par lequel l'Angleterre reconnaissait l'indépendance des treize colonies américaines. Désormais, l'Empire britannique en Amérique du Nord recouvrait seulement ce qui avait été autrefois la Nouvelle-France. Mais après 1763, alors que les anciennes colonies françaises étaient demeurées françaises dans la mesure où les francophones étaient en majorité, ces mêmes colonies prenaient maintenant une couleur plus britannique avec l'arrivée en masse des Loyalistes.

Les Loyalistes représentaient ces milliers de colons américains qui étaient demeurés fidèles à l'Angleterre durant la Révolution. Ils avaient perdu la guerre et se voyaient forcés de quitter les nouveaux États indépendants. C'est ainsi qu'il en vint 30,000 dans la province de la Nouvelle-Écosse (qui incluait alors le Nouveau-Brunswick). Ils arrivaient ici avec l'assurance que l'Angleterre les soutiendrait financièrement dans leurs nouveaux établissements. Fortement convaincus de la supériorité des institutions britanniques, ils voulaient reconstruire une société qui refléterait leur vision du monde, une société hiérarchisée, monarchique et fidèle à son roi dans l'ancienne Nouvelle-France.

On a écrit qu'en 1784, l'Angleterre divisa à nouveau la Nouvelle-Écosse pour «diviser afin de régner». On sait au contraire que ce sont les Loyalistes eux-mêmes qui demandèrent à l'Angleterre la création d'une nouvelle province où ils seraient en majorité; ils se méfiaient trop des anciens habitants de la Nouvelle-Écosse. Aux yeux des Loyalistes, ces anciens habitants, c'est-à-dire les anglophones arrivés en Nouvelle-Écosse avant 1776, avaient trop affiché une attitude de neutralité. Mieux valait obtenir un territoire où ils pourraient implanter leur idéal. Accédant à leur demande, l'Angleterre créa la «Province of New Brunswick» et la «Province of Cape-Breton» en 1784. Il y avait maintenant quatre provinces dans la région des Maritimes: la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Cap-Breton et l'Île du Prince-Édouard.

L'arrivée des Loyalistes marqua profondément les provinces Maritimes. Jusque-là l'immigration des colons anglophones avait évolué selon un rythme assez lent. Mais à partir de 1784, notamment au Nouveau-Brunswick, le caractère britannique des provinces Maritimes devait s'accentuer fortement. Dans cette dernière province, les Loyalistes devaient garder pour longtemps les postes-clés de la fonction publique et du gouvernement, telle la famille Odell qui conserva en son sein le Secrétariat provincial (comme s’appelait alors l'actuel ministère des Finances) pour une période de soixante ans.

Quant aux Acadiens, ils voyaient cet afflux de colons britanniques avec une certaine appréhension, le voisinage des anglophones ne leur ayant pas, auparavant, toujours été bénéfique. C'est pourquoi, entre 1784 et 1786, les Acadiens qui s'étaient établis aux environs de Sainte-Anne (Fredericton) demandèrent des terres situées dans le nord de la province et partirent vers la région du Madawaska (comté de Madawaska et une partie du comté de Victoria) et le comté de Gloucester (qui faisait partie, à l'époque, du vaste comté de Northumberland).

Des historiens francophones ont parlé des exactions des Loyalistes à l'endroit des Acadiens durant cette période. Certains faits démontrent que les relations entre les deux groupes, à la rivière Saint-Jean, furent difficiles. Mais il semble plus évident qu'en fuyant le voisinage anglophone, les Acadiens aient surtout cherché à vivre au sein des régions à majorité française et que ces relations difficiles avec les Loyalistes, dont on a parfois exagéré la portée, ne furent pas nécessairement déterminantes dans les migrations vers le Nord.

En 1786, la géographie acadienne des Maritimes est établie pour l'essentiel. Jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale, aucune région des Maritimes ne sera peuplée par des Acadiens qui ne l'habitaient pas avant 1786. Les mouvements de colonisation du 19e et 20e siècle ne concerneront que l'arrière-pays des anciennes paroisses acadiennes. Quant aux Acadiens réfugiés au Québec, ils seront le noyau de nouvelles paroisses notamment en Gaspésie méridionale, dans la région de Bécancour-Nicolet, non loin de Trois-Rivières, ainsi que dans la vallée du Richelieu. Les Acadiens rapatriés en France aboutiront à Belle-Ile-en-Mer (Bretagne) pour certains, ou au Poitou pour d'autres. Le comte de la Péruse essaya de fonder au Poitou une colonie agricole acadienne, mais ce fut peine perdue: la plupart de ces Acadiens préféraient encore le Nouveau Monde et ils s'embarquèrent pour la Louisiane.



Source :
Petit manuel d'histoire d'Acadie, de 1755 à 1767, Librairie Acadienne, Université de Moncton, Léon Thériault, 1976.


Dernière mise à jour : ( 30-07-2008 )
 
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